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Critique de Erik35


Erik35
28 septembre 2017
LE JEU DE LA VIE ET DE LA MORT

On ne définit jamais tout à fait le duende ! D'ailleurs, c'est à peine si l'on peut transcrire dans une autre langue - la notre, par exemple, proche et latine, pourtant - ce terme presque parfaitement insaisissable. Il tient un peu de la Muse si chère aux poètes romantiques allemands, de l'ange des créateurs italiens, un peu du feu follet, aussi, dont il est l'une des manifestations possibles, le "maître de la maison" comme l'indique l'expression espagnole “dueño de la casa” (pour mémoire, duende dérive directement du "dominus" latin, le maître). C'est parfois un cardon en Andalousie. L'Andalousie ! C'est sans doute sur cette terre que le duende a pris tout son sens, puise toute son énergie, donne toute sa puissance, par l'intermédiaire, la médiation et l'explosion du flamenco.

Pour Frederico Garcia Lorca, le duende, c'est rien moins que «l'esprit caché de la douloureuse Espagne » et c'est à l'occasion de cette conférence, qu'il donna à deux reprises, la première fois en 1933 à Buenos Aires) et la seconde en 1934 à Montevideo qu'il se proposa, par le biais d'une espèce de joute artistique et poétique face au public, d'en donner les contours, à défaut d'en régler une fois pour toute, une explication précise et, dirait-on, scientifique.

Car le Duende, cette chose «au charme mystérieux et indicible », cet espèce d'envoûtement du corps et de l'esprit ne se montre pas, ne se dit pas, ne s'explicite pas : il se vit. Dès lors, quelles plus étonnantes expressions de son existence, de son pouvoir, de ce jeu de vie et de mort que sont, toujours selon Garcia Lorca, les trois grands arts du mouvement : La musique, la poésie et la danse ?

«Tous les arts peuvent accueillir le duende, mais là où il trouve le plus d'espace, bien naturellement, c'est dans la musique, dans la danse, et dans la poésie déclamée, puisque ces trois arts ont besoin d'un corps vivant pour les interpréter, car ce sont des formes qui naissent et meurent de façon perpétuelle et dressent leurs contours sur un présent exact.»

De fait, c'est sans doute le Flamenco, réunissant ces trois arts, qui en sont l'évocation la plus flagrante... Mais la corrida, cet autre jeu du mouvement, mais aussi ce terrible jeu de la mort porté au rang de spectacle en est-il une autre - macabre - représentation... D'ailleurs, Garcia Lorca ne se le cache pas lorsqu'il affirme : «L'Espagne est le seul pays au monde où la mort soit le spectacle national.»

Le duende est donc opposé à l'ange créateur ou à la muse du poète tout autant par ce mouvement perpétuel dans lequel il se trouve - jusqu'à la possibilité même de son absence, de son manque - tandis que les deux autres sont des représentations pour ainsi dire statiques de ce que l'on appelle plus aisément "l'inspiration", mais par ailleurs, il n'est pas comme la Muse qui accompagne, voire souffle le créateur pas plus que comme l'ange qui survole de sa grâce le poète, non : le duende demeure à ce point insaisissable qu'il est impossible d'en attendre quoi que ce soit d'autre que cet espèce de jeu entre l'artiste et ce moment de grâce momentané entretenu par le Duende.

Ce court texte, dans lequel Garcia Lorca joue avec son auditoire, tout autant qu'il raconte ce jeu est une petite leçon, mais d'une intense profondeur, d'hispanité et de création. C'est aussi un pur hommage aux ébouriffement de l'existence, à la nature, à la chair, à la musique et à son cher Flamenco. Un bref texte plein de chaleur, d'enthousiasme, même s'il cède parfois à une certaine caricature de ce que serait l'Espagne la plus profonde (mais pas si éloignée que cela des clichés), que l'on lit cependant avec un intense plaisir, ainsi qu'il en est inévitablement des créations de cet inimitable et immense poète mort trop tôt, sans doute, mais qui, consumé par le duende, eût la grâce au bout de la plume !
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