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Critique de Dandine


Lu en v.o. La hojarasca. Et j'ai bien fait de le lire en v.o. La prose de ce monsieur a la moustache d'un autre temps etait deja magique a ses debuts. Elle secouait le langage academique, comme d'autres americains avant et apres lui. La jeunesse de l'Amerique rechauffait les vieux os de l'Espagne.


En exergue, Garcia Marquez met une citation d'Antigone. le livre sera donc une reecriture de l'Antigone a la sauce americaine. Une ouverture epique est chargee d'annoncer les differences, de temps, de lieu, de climat. Une ouverture sublime, invoquant le changement subi par un village suite a une tempete, qui l'a enseveli sous un amas de feuilles mortes, d'immondices vegetaux et humains. L'avalanche provoquee par une compagnie etrangere, depredatrice, La Bananiere. Et ce village devaste n'est autre que Macondo, dans sa toute premiere apparition en litterature.


Les monologues interieurs de trois personnages – coupes de quelques dialogues rapportes – mettent en place la tragedie. Un homme, sa fille, et son petit-fils. L'homme est un ancien colonel, un vieux malade et boiteux charriant un sens exacerbe de l'honneur. Il avait promis a un etranger, un medecin arrive vingt ans plus tot, de pourvoir a son enterrement. Et l'heure venue, il tient a le faire, malgre l'opposition de tout le village. Tout le village voudrait le laisser pourrir, aimerait humer les relents de sa lente decomposition. Tout le village le hait, ce docteur etranger qui refusa ses soins aux nombreux blesses d'un soir de bataille. Mais le colonel a promis, et il tient a le mettre en terre, chretiennement ou pas, il honorera sa parole donnee, bien qu'il sache que non seulement lui, mais toute sa descendance, risquent d'en payer un prix fort.


En trois monologues interieurs, qui s'entrecoupent et se melangent sans que le lecteur soit averti qu'on passe de l'un a l'autre, nous est racontee l'histoire ancienne qui force le colonel a s'opposer aux autres habitants, ainsi que la longue preparation du corps et sa mise en biere. Et le livre se finit avant le convoi mortuaire. Au lecteur d'imaginer comment se passera-t-il, comment agira a son passage la populace haineuse.


Au fur et a mesure que se developpe et s'eclaircit la trame principale, Garcia Marquez introduit des histoires secondaires, des personnages hauts en couleurs, prefigurant la marque de fabrique de ses grands romans. le colonel m'a rappele celui de "Pas de lettre pour le colonel", et le village celui de "Les funerailles de la Grande Meme". Ce n'est pas encore le Macondo de "Cent ans de solitude", mais un premier jet, le premier essai de rendre la quintessence des petits bourgs americains. Ses premiers pas dans le realisme magique.


J'ai aime ce petit livre, peut-etre parce qu'on peut y subodorer ce que donnera plus tard l'auteur. Oui, surement parce que j'ai ses autres oeuvres en tete.
En 1955, a la sortie du livre, il etait tout jeune. C'etait son premier roman et il avait du attendre trois ans avant qu'une maison de Bogota accepte de le publier. Je ne sais comment il a ete recu a l'epoque en Colombie. En Espagne il s'est fait “descendre" par la revue (a fort tirage) Blanco y Negro: “Un amalgame de feuilles que je doute pouvoir qualifier de roman… […] l'histoire n'est, en definitive, qu'une mauvaise copie du Tandis que j'agonise, de William Faulkner… […] nous predisons peu de succes dans le monde des lettres a ce jeune ecrivain colombien, a moins qu'il ne change radicalement sa voie en ce qui se rapporte a l'ecriture. J'augure a ses personnages comme a cet etrange village appele Macondo une profonde chute dans les abimes de l'oubli. Passons la page donc". C'etait signe par le directeur de la revue, Torcuato Luca de Tena, qui, lui, croupit et croupira a jamais dans ces memes abimes qu'il invoquait. Je ris dans ma barbe et Garcia Marquez sous sa moustache.
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