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Critique de Dandine


Je recidive. Apres vous avoir induit a entrer dans la grande hacienda de Garcia Marquez par la petite porte du colonel, je vous propose aujourd'hui d'y penetrer par une autre porte derobee, celle de la grande meme.

C'est un recueil de nouvelles publie quelques bonnes annees avant son fameux siecle de solitude. On y voit poindre deja le legendaire bourg de Macondo, on remarque une apparition furtive d'Aureliano Buendia, et au moins une des nouvelles est deja teintee d'un realisme magique de bon augure. Mais pas toutes.

Le titre du recueil est prometteur et trompeur en un seul et meme temps. Les funerailles dont il est question dans la nouvelle eponyme ne sont pas tristes, elles sont au contraire un grand moment de liesse populaire, mais nombre d'autres nouvelles peuvent laisser au lecteur sinon une impression poignante, un arriere-gout un peu amer. Elles mettent toutes en scene l'enorme differenciation, l'abime qui separait en ces villages d'Amerique Latine la majorite des habitants, a la faim endemique, des quelques puissants qui s'etaient accapares tous les pouvoirs et toutes les richesses. Les pauvres, fatalistes, sont accules a voler des vetilles, et, attrapes, ils sont battus a mort ou carrement tues, moins comme punition que comme une facon de semer la terreur, d'assoir l'emprise, la totale domination des “caciques" hierarchiques. Alors ils se vengent comme ils peuvent: un dentiste sans diplome trouve une excuse bidon pour arracher une dent au maire du village sans aucune sorte d'anesthesie et “sans rancoeur, plutot avec une tendresse amere, il lui dit : — Vous allez payer ici vingt de nos morts, lieutenant”; tout un autre village (ou le meme? Macondo?) ignore les funerailles et plus tard la veuve d'un nanti, du petit “cacique" du coin. Toutes ces petites vengeances trouvent leur apotheose dans les funerailles de la Mama Grande. Elles sont pompeuses, a l'echelle nationale et meme mondiale (le pape y assiste!), signe d'une omnipotence qui asservissait toute une region, mais le peuple en fait une fete, au lendemain de laquelle tout est saccage, noye sous les bouteilles, les megots, les os ronges et autres restes de bouffe, les defecations et les flaques d'urine. Une grande dalle de plomb empeche la Grande Meme de ressortir de terre et le menu peuple peut enfin respirer un air moins malsain.

Cette oeuvre de jeunesse relative est empreinte deja de la conscience sociale qui caracterisera Garcia Marquez (et qui l'amenera a s'impliquer politiquement avec le regime castriste de Cuba). Mais sans trop d'acrimonie. Ses attaques aux depredateurs sociaux sont transmises par une satire ou tout est demesure, transcende. Chaque personnage, chaque action, en devient mythique. Et son style, colorie comme un perroquet, comme un ara de l'Amazonie colombienne, fait que chaque page est malgre tout source de plaisir, de pure jouissance. Ce n'est qu'une fois le livre ferme que le lecteur peut estomper son sourire et s'abandonner au message, qui, lui, n'est pas gai du tout.

Alors encore une fois: ce petit recueil est a mon avis une des meilleures portes pour entrer dans l'oeuvre de Garcia Marquez. Presque par infraction. Une fois dedans on pourra se sentir plus a l'aise pour visiter les grands salons de son imposante “hacienda”, les salons des amours choleriques et des morts annoncees pendant cent ans.
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