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Critique de martinouche


Souvenirs de Francisco Garcia Barrera,
présentés par son fils, Salvador Claude Garcia.

L'Espagne, dans l'entre-deux guerres (qui lui ont été l'une et l'autre épargnées), a vécu, de coup d'états en révolutions, une période de troubles politiques lourds et sanglants où elle est passée de la monarchie à la dictature de Franco en passant par un Front Populaire et la guerre civile. le retour à la monarchie constitutionnelle a dû attendre la fin de Franco, mort de sa belle mort en 1975.
D'autres nations s'en sont mêlées, ouvertement, par détachement de forces armées, comme Italie fasciste et Allemagne nazie d'un côté, Russie stalinienne et Komintern de l'autre, ou plus discrètement, comme les démocraties de France et d'Angleterre. Bernanos, Orwell, Hemingway, Picasso et d'autres ont transmis le souvenir des Brigades Internationales, des Phalangistes, de massacres dans les églises, de fosses communes, de Guernica, où la Luftwaffe a expérimenté le bombardement terroriste sur une ville sans défense. Aujourd'hui on peut y voir une répétition de ce que l'Europe allait vivre sur une autre échelle peu de temps après, de l'Iroise à la Volga.
Les perdants, ceux qu'on appelle les Républicains, ont connu l'exil en 1938 en passant, hommes, femmes et enfants, les Pyrénées à pied. Ils fuyaient les exactions des fascistes et de leurs troupes coloniales, qui célébraient volontiers leurs victoires en faisant couler le sang. le sud de la France a vécu là un épisode d'immigration nombreuse, dont tous et chacun avons peu ou prou connu l'effet. Les parcours de ces réfugiés, sous l'Occupation, ont été très divers ; certains devenus via l'Afrique fantassins dans la 2ème DB, ont été les premiers libérateurs de Paris (‘La Nueve'). D'autres ont cherché la paix, se sont mariés, et ont fondé des familles dans une France en reconstruction, capable d'accueillir. La plupart ont pris racine et sont devenus Français. Sous le franquisme d'après-guerre, de nombreux migrants espagnols les ont rejoints chez nous.
Ils étaient de gauche, cette gauche espagnole dont la division a ménagé la victoire des franquistes. Anarchistes, staliniens, socialistes, trotskistes, ils ont été incapables de s'organiser, de s'unir, de porter un projet commun; ils se sont affrontés au nom d'idéologies concurrentes, de jeux de pouvoir, de traitrises en désertions, jusqu'aux pelotons d'exécution et aux massacres.
Notre Francisco en a été dès le début. Jeune Andalou paysan sans terre devenu leader anarcho-syndicaliste, avant d'être attrapé et fusillé, il a fui les franquistes dès leur passage du détroit de Gibraltar. Il a pris les armes ; par les sierras et les plaines desséchées, sous le soleil et dans le vents froid des cols, il a fait toute la route, de Malaga à Perpignan. Son récit de piéton épris de justice, libertaire et anticlérical est fait de départs, de marches en haillons, de rencontres, de découvertes d'autres façons de vivre, de réflexions sur l'échec ; il l'attribue pour partie à la supériorité professionnelle de l'armée d'en face, mais surtout à la division de la gauche (‘l'inorganisation'), ravagée par les menées des communistes.
Il évoque de sanglants bombardements sur les routes de civils en fuite, mais laisse peu de place à ses combats, le plus souvent d'arrière-garde, qu'on devine inégaux, sans espoir, lourds de pertes. Les portraits, amis ou ennemis, sont vivants, sans concessions, très prenants.
L'exil, et l'accueil de la France, dans les camps ad hoc construits en Roussillon et Languedoc, sont décrits sans états d'âme. C'était dur, mais on devine le soulagement, surtout après le départ des Allemands.
La fin du livre, la part qu'y prend son fils Salvador, les photos qu'il y ajoute montrent le parcours d'un bucheron père de famille bosseur, heureux de voir ses enfants à l'école de notre République, heureux de les voir grimper dans la société. Les deuils passés, les pages tournées, il aurait été heureux de les voir se présenter à sa famille andalouse, restée collée dans la misère du système latifundiaire.
Francisco est un dur au mal, un homme de coeur et un homme intelligent. Outre la valeur d'un rare document, il nous donne un prenant récit de voyage dans un pays ravagé par l'affrontement des utopies, pays qu'il découvre en même temps qu'il se découvre à lui-même ; c'est aussi le portrait vivant d'un beau personnage.
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