AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Montecristof


"Bartabas, roman" n'est pas un roman. Si l'on considère une vie d'homme de cheval comme un idéal, c'est plus précisément une hagiographie. La vie de saint Bartabas.
C'est la vie d'un homme devenu centaure, mythique mystique tombé en extase à force de renâcler. La vie d'un privilégié qui n'a pas craint pas de tenter d'arracher ses racines jusqu'à risquer la chute, puis à échappé à la déchéance en fuyant vers un sacerdoce au mépris de toutes les convenances, hors de tous les carcans. Qui de ses deux terroirs-refuges a créé sa chimère, quand le monde des chevaux qu'il maria à celui du théâtre engendra Zingaro.

Quand je montais beaucoup à cheval, j'ai vu Zingaro. D'abord sur mon écran, au début de son aventure, quand son premier spectacle fut disponible en cassette. Puis en chair et en os deux fois : à l'occasion d'une de ses tournées dans le sud-ouest, ensuite à Aubervilliers. Et bien sûr j'ai vu tous les films de Bartabas. Ce fut toujours un choc esthétique, une occasion d'émotion, un frisson souvent, même devant un écran (sauf peut-être pour "Le Caravage", qui m'a laissé sur ma faim et à partir duquel j'ai pris du recul).

Au fil des pages, l'emphase de Garcin m'a parfois transporté vers l'émotion, quand elle me renvoyait au spectacle de Bartabas en selle, à ces univers qu'il a mis en scène et que j'ai vus vivre devant moi, qui m'ont lancé au visage leurs instants de beauté éphémère.
Mais elle m'a agacé quand je manquais d'un dictionnaire ou d'une encyclopédie pour du vocabulaire ou des références littéraires inconnus, pour des élégances trop ésotériques, inaccessibles à mon niveau de culture...

Le style de Garcin est fluide et esthétique comme toujours, mais ici trop souvent complexe. Fluide, esthétique et même aérien comme les chevaux finement mis en haute école qu'il décrit, son style se perd parfois dans des arabesques aussi complexes que les tracés laissés dans le sable par un carrousel alambiqué.
On sent bien que l'écrivain a choisi sa plus belle plume pour dire son admiration de cavalier, sans réserve. Mais parfois il en fait trop et c'est dommage, ça gâche des lignes très inspirées.
Il sait aussi persifler, notamment quand il compare les aspirations des deux impétrants à la direction de l'académie de Versailles (l'iconoclaste Bartabas et le raffiné Henriquet) et évoque la "victoire" de Bartabas en parallèle à la bataille d'"Hernani"...
Il faut lui reconnaître de la modestie pourtant, à Garcin, notamment quand il se retourne sur son propre parcours à la fin du livre, en le comparant à celui de son idole.

Quoi qu'il en soit, pour moi, à la fin de son récit aussi beau que compassé, Bartabas reste une énigme :
Son intransigeance au moment de l'annulation "syndicale" d'un festival d'Avigon pose question, certes.
Son mépris affiché pour les "chuchoteurs" aussi.
Son machisme, même, peut chagriner. Dans mon commentaire sur "D'un cheval l'autre", ce chant d'amour de Bartabas à tous ses chevaux, j'ai dit ici ma déception qu'il n'adresse aucune de ses louanges inspirées à une jument, qu'il ne s'épanche si poétiquement que pour des mâles. Sexiste, Bartabas ? On pourrait croire que que non puisque dans son livre, Garcin parle de Versailles comme du "gynécée" de Bartabas, où un seul homme a trouvé une place dans tout un peloton d'apprenties écuyères.
A Versailles le maître forme des femmes à dresser... des mâles ? Compliqué tout ce cirque..
Mais peut-être surtout, si l'homme a pour moi dégringolé du piédestal où je le plaçais, c'est parce que j'ai découvert qu'il avait pris fait et cause avec arrogance pour la corrida, maintenant qu'on commence à la mettre en question ouvertement. Ca n'enlève rien à son talent d'écuyer et de créateur de spectacles mais je n'arrive pas à comprendre, pas plus que Garcin d'ailleurs si je l'ai bien compris.
Et quant à l'accepter, impossible pour moi !
Que la tauromachie, surtout au Portugal, ait engendré une équitation qui peut toucher au sublime, je le sais bien. Mais qu'on reste bloqué à un stade de notre évolution qui met en scène la barbarie, qui voue un culte à un rite sacrificiel violent et à la mort d'une victime torturée, j'ose dire que ça me révolte... de quel droit ?
Etre artiste ne dispense pas de rester humble, à mon sens.

Non, décidément, en fermant le livre de Garcin je ne comprend pas mieux cet homme, ce centaure que j'ai tant admiré avant de redevenir un piéton, un mortel très ordinaire.

Commenter  J’apprécie          30



Ont apprécié cette critique (1)voir plus




{* *}