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Critique de PedroPanRabbit


Petit bijou. Gourmandise. Délice. Merveille. Difficile de trouver le mot qui qualifie le mieux "Leçons de chimie". Aussi difficile que de répondre à cette question : à quoi tient l'inimitable saveur d'un roman ? A l'audace de la recette ? A l'ordre dans lequel on ajoute les ingrédients ? A l'arrière-goût que la préparation laisse sur les papilles ? Probablement à tout cela à la fois. On pourrait poursuivre la métaphore culinaire à l'infini, tant elle se prête bien, dans le fond comme dans la forme, à tout ce qui fait le sel de ce livre doux-amer. Premier roman de l'autrice américaine Bonnie Garmus, 66 ans, dont le tout premier manuscrit avait été refusé par 98 éditeurs, "Leçons de chimie" rassemble des éléments qui font l'unanimité. Une héroïne atypique, l'atmosphère rétro des années 60, un message féministe. Oui, mais encore faut-il avoir le tour de main pour éviter les écueils classiques du genre : en littérature, comme en cuisine – et comme en chimie – il suffit d'un faux pas pour que le soufflé retombe ; tout est une question de dosage.

Car "Leçons de chimie" aurait pu n'être qu'une simple romance ou un sage feel good book. D'ailleurs, on ne comprend qu'à moitié les critiques et articles qui résument le livre à ces deux étiquettes. Comme les avis qui le vendent sous la seule bannière du féminisme, label malheureusement devenu plus commercial que significatif d'une véritable intrigue de fond, parce que thématique dans l'air du temps et donc revendiquée à foison. Mais, voilà, "Lessons in chemistry" est bien plus que tout cela. Il y a tout d'abord l'écriture (et son excellente traduction en VF !), qui parvient à restituer avec une ironie mordante les années 1960, entre image d'Épinal et tableau au vitriol, mais aussi à donner corps aux différents protagonistes avec une étonnante justesse, jusqu'au personnage (car c'est un personnage) du chien, qu'on rêve tous d'avoir comme animal de compagnie. Cette justesse concerne bien sûr Elizabeth elle-même, qu'on ne se risquera pas à mettre dans une case, mais dont la personnalité très neuro-atypique élève le message du roman non pas seulement à la question de la place des femmes dans un monde d'hommes, mais à la place de tous ceux qui nagent à contre-courant dans un monde un peu trop bien ordonné. Un monde qui n'aime pas qu'on sorte du rang, bien entendu.

Contre toute attente, parmi les autres éléments les plus réussis, il y a la construction de l'intrigue et ses revirements de situation, qui semblent toujours tomber à point nommé. Bonnie Garmus abuse-t-elle du Deux Ex Machina ? Très certainement. Et pourtant, sa maîtrise du tour de passe-passe ôte tout sentiment de facilité. Parce qu'elle parvient à intégrer parfaitement bien les hasards, coïncidences et petits miracles au canevas de son scénario, le tout s'apparente à un puzzle dont les pièces attendaient en fait depuis le début d'être assemblées les unes au bout des autres, comme une évidence. Et puis, parce que ce qu'elle raconte ne verse jamais dans le conte de fée, rien dans l'écriture de Leçons de chimie ne semble trop commode.

En effet, loin de servir une histoire lisse, Bonnie Garmus n'hésite pas parler de traumas et à semer des embûches dans le parcours de ses personnages – car il est bien connu que la route de celles et ceux qui se sentent trop à l'étroit dans le costume des conventions est rarement bordée de roses. En dépit de l'originalité de son intrigue et du caractère parfois extraordinaire de certains rebondissements, l'autrice, probablement aussi pragmatique et réaliste que son héroïne, nous parle finalement de la vie telle qu'elle est : un chemin long et souvent sinueux, mais avec aussi de belles étapes et une ligne d'arrivée. Elizabeth Zott, attachante malgré elle, devient une héroïne inspirante qui nous donne envie de croire à la résilience aussi bien qu'à nos ambitions.

En bref : Véritable coup de coeur, "Leçons de chimie" est un roman à la fois délicieux et inattendu. Chroniques aigres-douces d'une jeune femme aussi charismatique que neuro-atypique et à total contre-courant des patriarcales années 60, ce roman nous parle bien entendu de féminisme mais surtout de différence, d'irrévérence, et de résilience. Héroïne résolument inspirante, Elizabeth Zott nous invite à sortir de la case trop étroite dans laquelle on nous a enfermé (quelle qu'elle soit) pour prendre notre destin en main. La chimie comme la cuisine deviennent alors des métaphores pleines de sens, portées par une écriture dont la maîtrise force l'admiration. Une pépite à bien des égards, un livre qui touche comme il enchante.
Lien : https://books-tea-pie.blogsp..
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