Septième scène
ÉMILIE
je ne suis pas détraquée ma sœur
je suis éblouie
je vis dans le mystère du moment
Septième scène
ÉMILIE
il me semble que l’exaltation est l’état
naturel des êtres
qui ont conscience du monde
Première scène
ÉMILIE
s’il ne reste qu’une joie
quand toutes les autres sont usées
il reste d’être précisément soi-même
et personne d’autre
URANIE
Émilie
ÉMILIE
il reste toujours une joie
URANIE
Émilie
ÉMILIE
et pourtant l’esprit de malheur semble régner
toi qui fréquentes le monde toi tu vois
beaucoup de gens tu le vois
l’esprit de malheur semble régner
URANIE
Émilie chère Émilie le commun des mortels
s’il ne lui restait qu’une joie
qui s’rait celle d’être lui-même
et rien d’autre
irait se j’ter dans le fleuve
en hurlant d’horreur
ÉMILIE
l'intégrité n’est pas recherchée
URANIE
l'intégrité n’est pas recherchée
et c’est vrai que l’esprit de malheur règne
ah oui je vois beaucoup de gens et y sont
les gens nous nous tous je suis victime
on est tous victimes des évidences
parc’qu’on s’gave de pléonasmes parc’qu’on
s’bourre de redondances figure-toi Émilie
qu’les trois quarts des gens sont atterrés
secrètement atterrés y croient que la vie est tragique
non non même pas tragique y croient que
la vie la vie elle-même est triste
parc’qu’elle entre inévitablement dans la mort
y s’disent que la vie parc’qu’y croient aussi
que la vie c’est leur existence
y s’disent que la vie c’t’une histoire
qui finit mal toujours mal
parc’qu’une sorte de drame nous attend
une manière de tragédie nous guette
une absurdité culmine notre vie
alors le bonheur juste le bonheur d’être
ça vaut pas la peine on est condamnés
alors on vit dans l’esprit du malheur oui
alors on s’abandonne à des prières pitoyables
en attendant qu’l’épreuve d’la vie s’achève
ou on tente d’oublier la cruauté d’la vie
en s’plongeant dans la trivialité les idées reçues
les modes les superstitions
en s’noyant dans la multitude de tous les détails
les plus délicieusement fastidieux
pour passer l’temps pour passer le temps
on dit même pour le tuer
ÉMILIE
la vie entre dans la mort
on peut croire qu’elle finit bien