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Critique de Seraphita


Yolande vit recluse chez elle, cloîtrée dans son couvent de souvenirs et de rancoeurs, depuis qu'on l'a tondue au sortir de la guerre. Son frère Bernard va désormais pouvoir pleinement veiller sur elle : il se débat dans les pinces d'un cancer et s'est mis en congé maladie. Entre deux visites à sa soeur, il erre au gré des rails qui ne mènent nulle part et des autoroutes, notamment l'A26 que l'on bâtit à grand renfort d'engins et de béton : cette autoroute en chantier vouée à n'être qu'un point de passage va devenir demeure d'éternité pour quelques êtres croisés sur le chemin d'une fin de vie.

Encore un grand roman de Pascal Garnier qui m'a offert un excellent moment de lecture et de détente. A travers ce très court roman policier (environ 100 pages), l'auteur montre qu'il maîtrise le sens de la dramatisation, de la construction fine d'une intrigue dans laquelle le suspens reste le maître mot. Il nous offre une réflexion sur le sens de la vie, notamment quand on reste prisonnier d'un passé tragique qui vous a marqué au fer rouge de manière indélébile, sur la violence, les pulsions de vie étroitement mêlées aux pulsions de mort.

L'extrait suivant illustre le titre du roman, filant la métaphore de l'autoroute qui figure une vie, une existence qui se déroule sans surprise pour laquelle son auteur et/ou acteur aimerait un changement de direction mémorable. Bernard va y veiller dans une ultime pirouette aux confins du sommeil :
« - Excusez-moi, ça fait tellement longtemps. Je croyais que ça ne m'arriverait plus jamais. Tout ce que je vous ai raconté ce soir est faux. Je n'ai jamais voyagé, je n'ai jamais connu de grandes émotions, toute ma vie j'ai eu peur de souffrir alors je n'ai jamais rien vécu de fort. Il ne m'est jamais rien arrivé d'exceptionnel. de l'autoroute, rien que de l'autoroute, monotone, avec quelques arrêts sur des aires de repos et des pauses sandwichs surgelés. Bientôt ce sera le péage et je n'aurai rien vu, rien. Je ne veux pas rentrer à l'hôtel. Emmenez-moi chez vous, Bernard. Rien que pour cette nuit, je partirai demain, je vous le promets ! » (p. 47)

Même dans les moments de violence, témoignant de la méchanceté humaine, Pascal Garnier parvient à introduire une forme de beauté à travers des métaphores simples et recherchées. Dans l'extrait suivant, l'auteur montre Yolande qui va noyer le chat d'une petite vieille qui l'agace :
« Yolande avait fait tournoyer le sac au-dessus de sa tête et l'avait balancé au milieu de la mare en poussant un grand HAN ! L'eau avait souri des ondes et des ondes et s'était refermée intacte, comme une flaque d'oubli. Bernard s'accrochait à la jupe de sa soeur. » (p. 54)
L'acte est brutal, mais l'eau sourit des ondes et se referme comme une flaque d'oubli. L'étang devient le dépositaire de la cruauté d'une enfant.

Si le propos au fil du roman se veut désespérément noir, quelques éclaircies apparaissent comme autant de pauses salutaires :
« La journée avait pourtant bien commencé, elle était de bonne humeur en se levant. Une flèche de lumière provenant d'une faille entre les volets avait ricoché sur l'émail blanc de son bol. Ça avait suffit pour faire ressurgir en elle tout un flot de bons moments. La vie a beau être ce qu'elle est, parfois elle fait des cadeaux, même à ceux qui ne le méritent pas, même à de sales gosses comme elle. C'est normal, la vie tue bien les braves gens, à coups de guerres, d'accidents de voiture, de maladie. Faut bien qu'elle rattrape ses conneries. » (p. 53)

Bernard s'accroche à la vie malgré sa maladie qui le ronge : on le voit se débattre entre pulsions de vie et pulsions de mort et commettre ainsi des actes désespérés jusqu'au point ultime et tragique où le passé refait surface et se rejoue dans un dernier acte de démesure et de violence.
« Et pourtant, même si elle se refusait à l'admettre, l'air de la calomnie faisait du chemin dans sa tête, comme un ver dans une pomme. Bouleversée comme elle est, la nuit, tout devient possible, des points d'interrogation s'accrochent comme des hameçons aux étoiles. On voudrait tirer le filet et le voir vide mais c'est vrai, Bernard est si bizarre ces derniers temps, on dirait qu'il a un secret, quelque chose qu'il garde pour lui, quelque chose qui, comme tous les secrets, ne demande qu'à éclater au bord de ses lèvres. » (p. 91)

Un très grand roman policier, où l'auteur a su condenser en une centaine de page une intrigue extrêmement bien pensée qui explore les méandres d'une fin de vie : j'ai souvent frémi, j'ai parfois été horrifiée (tout comme à la lecture de « Mygale » de Thierry Jonquet), mais j'ai beaucoup aimé ce roman très noir dont je conseille vivement la lecture.
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