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Critique de meeva


Vous m'emmerdez !

Hier :
- Faites attention à vos filles. Ne les laissez pas seules dehors, me dit une voisine.
- Pourquoi ?
- Il y a des manouches qui traînent. Ils prennent les enfants.
- …

Sans voix car je ne la connais pas beaucoup cette voisine, pourquoi s'engueuler ?

Et ils les font cuire avant de les manger ? Putain ! Des manouches en Normandie… Ah ? Des manouches ou plutôt des gitans, des tziganes, des romanichels, des bohémiens, des roms, des gens du voyage, des voyageurs… ?

Faut-il connaître les gens pour pouvoir parler d'eux ?
Ben ça dépend si on veut dire des conneries ou pas…



Romain Gary écrit ici un roman, à n'en pas douter, même si celui-ci ressemble bien plus à un récit.


Il recueille chez lui Batka, un chien blanc, c'est-à-dire un chien dressé par les policiers à attaquer les Noirs.
Il confie ce chien à un ami spécialisé dans le dressage des animaux pour qu'il le « guérisse ».
Dans le zoo de cet ami travaille un Noir, Keys, qui accepte de se charger de l'animal.
Mais cet employé, Keys, a sa petite idée, qu'il cache sous un air songeur…

A noter que Gary dit avoir confié aussi à ce zoo Pete l'Etrangleur, un python. Quelques années avant Gros-Câlin


Tout le temps que Batka est confié au zoo est l'occasion pour Gary de raconter sa vision des événements de 1968 en Amérique et d'évoquer ceux qui ont lieu en France.
Comme à son habitude, il fait preuve d'une lucidité éclairée de son regard d'homme cosmopolite.


Il a un regard acéré sur le problème Noir :

Il fait preuve de tolérance car « tout ce que nous avons fait subir à l'âme des Noirs, même si nous avons incontestablement fait beaucoup pour eux aussi, devrait nous rendre un peu plus circonspects dans les jugements moraux que nous portons sur eux ».

Par contre il est cinglant avec eux en remarquant par exemple qu'un Noir dira presque toujours qu'il a eu une grand-mère blanche et pas un grand-père blanc, parce que « ils éprouvent une désarmante satisfaction à affirmer qu'une Blanche s'était fait baiser par leur grand-père noir… ».


Il évoque le pouvoir de la parole, en disant que les discours ultra-violents permettent aux Noirs de « se libérer » et de retrouver leur dignité, pointant aussi le fait qu'en Afrique, le « dire » se confond parfois avec le « faire ».

Cependant, il regrette l'inflation verbale, qui fait utiliser l'expression « ennemi du peuple » pour parler de Beethoven ou le terme « crucifixion » en parlant de la révolte contre le célibat des prêtres hollandais.


Il porte des réflexions pleines de clairvoyance :
Sur la société de l'image : « […] les mass media qui vivent de climats dramatiques qu'ils intensifient et exploitent, faisant naître un besoin permanent d'événements spectaculaires. »
Sur la société de consommation : « [la] sommation à acheter et la psychose de la possession […] équivaut à un appel au viol. »


Il analyse les mouvements de protestations des Noirs américains, en particulier les Panthères Noires, et les manipulations dont ils sont victimes de la part du F.B.I. ou de la C.I.A.
Il dénonce la confusion entre criminel de droit commun et héros activiste : les Noirs cherchent à faire passer les criminels de droit commun pour des héros, les policiers cherchent à faire passer les héros pour des criminels de droit commun.


On retrouve l'ironie et le cynisme de Romain Gary à plusieurs reprises :
Dans les personnages de Ballard et de Philip, tous les deux fils de Red, un activiste Noir.
Philip fait la guerre au Vietnam et tandis que son père pense qu'il « s'entraîne à la lutte » pour pouvoir aider ensuite la cause, en réalité, Philip a trouvé dans l'armée une fraternité qui dépasse la couleur de la peau et il se bat pour son pays.
Ballard, quant à lui, a déserté, mais pas pour des idées ou une cause, non, pour une belle fille !


Enfin les vedettes qui soutiennent la cause des Noirs s'en prennent plein la gueule, avec leur fausse culpabilité ou leur stupidité lorsque l'un d'eux dit « Nous devons aller dans les familles noires, apprendre à les connaître… » alors qu'il est entouré de dix-sept millions de Noirs en Amérique !

Tout au long de son récit, Romain Gary parle de son épouse Jean Seberg qui s'est beaucoup investie dans les mouvements Noirs.
Son histoire personnelle sur le sujet est très trouble, ce qui explique sûrement la révolte que l'on ressent chez Gary à la lecture de ce livre.


En effet, ici il exprime sa colère : « une colère d'autant plus douloureuse qu'elle ne vise personne, il n'y a pas de cible, sinon nous-mêmes ».

La fin de l'histoire est surprenante et pleine d'un cynisme désabusé habituel à Gary !

Beaucoup de citations entre guillemets car Romain Gary a comme toujours le sens des mots et de la formule alors « je ne saurais mieux dire » que lui.



Enfin, terminons en chanson :
« […]
Pour être tout à fait clair
Et pour nous connaître mieux
Je vais vous dire ce qui m'indiffère
Dans ce monde merveilleux :
Qu'un étranger passe la frontière
Qu'il vienne partager mon pain
Si ça peut faire moins de misère
Je le veux bien
Ceux qui trouveront démagogique
Cette façon de penser
Vous avez compris la musique
Vous m'emmerdez ! »
(« Vous m'emmerdez ! », extrait de l'album éponyme, Les Ogres de Barback)
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