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Critique de Bertrandoulefifre


Parfois, il faut savoir dépasser ses préventions à la vue d'une couverture fadasse - dont on peut penser que l'éditeur l'a imposée - tant elle jure avec la grâce de ce roman.
Parfois aussi, il est difficile de comprendre pourquoi un roman vous attrape et ne vous lâche plus. Rien ne m'y aurait attaché sans doute, si je n'avais rencontré le regard émouvant de Cyrielle Gau lors d'un dîner... J'ai eu envie de savoir ce que ce regard abritait : je n'ai pas été déçu.
Et pourtant, rien de ce récit ne s'adresse à moi, mâle septuagénaire que les afflictions d'une femme en errance ne devraient plus guère passionner...
Et pourtant, dès la première page, sans savoir pourquoi, j'ai su que j'avais envie d'aller au bout de ce voyage. Ou plutôt, si, j'ai su dans l'instant que c'est son style qu'elle installe dans ce prélude qui me mènerait au port. Concis, tendu mais élégant, sans affèterie, tantôt travaillé au scalpel, tantôt d'une immense délicatesse pour cacher les incompréhensions, les absences, les précipices vertigineux des êtres.
Seuls les vrais écrivains savent ainsi planter en une page un décor fait d'apparente simplicité, mais où passe comme un friselis languide auquel on aimera s'abandonner.
Au fil des pages, ce qui finit par convaincre et qu'on admire, c'est l'équilibre que l'auteure trouve pour raconter une autofiction pleine de bruit et de fureur intérieurs à l'aide d'un style magnifiquement contenu. Les mânes de Benjamin Constant qu'elle cite lui servent de viatique !
Je fais partie de ces lecteurs pour qui le style prime généralement sur le contenu. Ici, il permet jusqu'au bout de tenir ce récit à la fois dur et sensible, impitoyable et fragile. Ses qualités descriptives qu'elle utilise avec une économie de moyens remarquable sont manifestes, jamais factices.
« Un crabe vient de passer entre mes pieds. Mon immobilité a dû avoir raison de sa méfiance. Il a été attiré par un bernard-l'hermite en errance qui tente de lui échapper. En vain, une grosse pince l'a happé et le petit mollusque a disparu de la surface de la Terre sans laisser de trace. »
On sent qu'elle aime à peaufiner de jolies trouvailles comme autant de coquillages - ainsi après avoir fait l'amour : « Incognito, le bonheur est entré dans ma poitrine, me laissant d'autant plus surprise qu'il avait déserté les lieux depuis longtemps. »
Elle jongle aussi entre le désir d'expliquer en allant au fond des êtres et celui de nous abandonner au bord des points de suspension qu'elle pose délicatement en fin de paragraphe ou de chapitre, histoire de nous laisser le soin de gamberger à notre tour. Comme autant de béances qui vont aider le lecteur à entrer dans sa tête douloureuse : « le soir, nous avions prévu de dîner au restaurant du gîte. Jusqu'à la fin du repas, j'ai espéré en vain qu'ils n'aient pas oublié mon anniversaire. »
Fin du chapitre ! Qu'ajouter d'autre qui ne serait redondant ? C'est bien au lecteur d'imaginer le chemin...
Ou encore, avec un autre homme : « Qu'il me pénétrât fut presque secondaire bien que ce va-et-vient entre mes reins me fît délicieusement gémir. Tant et si bien que je ne pus jouir. Il y a dans l'orgasme un abandon que l'excitation portée à son comble empêche d'advenir. »
Qu'on se débrouille avec ça qui continue à tourner dans notre petite tête de lecteur - mâle surtout !...

Quant au contenu, deux personnages s'imposent : la Nouvelle-Calédonie et la famille. Cyrielle Gau nous fait vraiment pénétrer au coeur de leur complexité. Et cette complexité nous défie dans les deux cas de juger.
Même quand les enfants que nous avons tous été ont été blessés par des maladresses qui nous poursuivent notre vie durant : « Je compris donc ce jour-là, peut-être à juste titre, que c'était Mathilde que ma mère avait choisie et que je n'avais plus qu'à remballer cet amour pour lequel j'étais prête à mourir. »
Quel estomac de lecteur ne se noue-t-il pas à cet instant ?

Et cependant, le récit bientôt refermé, l'appétit pour un deuxième roman nous saisit...
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