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Critique de Glaneurdelivres


Ce livre, c'est du « grand » Gaudé, condensé en peu de pages. C'est merveilleusement écrit.

Le narrateur est heureux de se retrouver à Paris. Au sortir de la gare Montparnasse, il est interpellé par la présence d'un homme qui semble s'adresser à lui en n'arrêtant pas de lui poser cette même question : « Qui es-tu, toi ?»

Qui est cet homme, ce marginal ? Que lui veut-il ?
Ce personnage va être pour notre narrateur une sorte de guide, un passeur, qui va pendant toute une nuit l'inviter à le suivre à travers les âges et les époques, à redécouvrir ceux qui ont fait l'histoire de Paris.

Cette rencontre est troublante. L'âme de ce personnage rencontre la sienne pour faire réveiller en lui une partie qui était endormie. le narrateur est comme en transe, dans un état second, Il est comme habité. Il ressent des appels, des présences invisibles. Une force le pousse et l'attire comme le ferait un aimant, à suivre l'ombre de cet homme dans la nuit.

Les évocations que le parcours dans le dédale des rues fait naître, emportent le narrateur bien plus loin qu'à Paris, à Madagascar… où se pratique une cérémonie des morts tout à fait particulière…
Ce n'est pas macabre. Si on déterre les morts, si on les retourne, c'est pour en quelque sorte les faire revivre parmi les vivants. C'est une façon de les honorer.

Ce personnage est là pour permettre au narrateur de revivre un moment avec des êtres du passé.
Il se force à se remémorer les circonstances de la mort de son père, en revoit les images, mais…
Peut-on inverser l'ordre des choses ? Peut-on échapper à son destin ?

Il laisse Paris l'envahir. En parcourant ses rues, c'est comme si une force surnaturelle atteignait son âme et lui faisait se rappeler ce qui s'y était passé. Il veut ressentir les souffrances que des êtres avant lui ont vécu.
Est-ce qu'il doit, lui aussi, retourner les morts à sa façon pour retrouver le passé ?

« J'ai cru que le retournement des morts ne concernait que mon père, mais c'est toute une ville qui m'appelle. »

Il est exalté. Une énergie est entrée en lui, qui le pousse à cette déambulation dans Paris. Ses rues sentent le souffre et la colère.
Il ressent des vibrations, il fait des arrêts par-ci, par-là. Il est comme hypnotisé, il revoit ces lieux qui ont été des théâtres d'opérations marqués par l'Histoire, où des époques se chevauchent, où des hommes sont tombés…
Les hommes ont-ils besoin de reconnaissance ?

Paris est personnifiée : elle est « prise par la fièvre », elle « a faim », elle « ouvre les écluses de sa mémoire ».
Le narrateur voudrait revivre avec ces hommes qui ne sont plus, qui ont tellement souffert.
Il voudrait leur enlever un fardeau, alléger leurs peines… faire remonter les morts au milieu des vivants pour prendre soin de ce qu'ils furent, trouver une consolation…
Est-ce que la consolation du monde exige l'attention des vivants aux disparus ?

Il trouve toutes ces morts injustes. Tous ces morts qui regardent vivre les vivants auxquels ils ont fait cadeau de la liberté.
L'écriture est très poétique. « le passé est vorace de nos esprits parce qu'il n'y a que là qu'il puisse encore vivre. »

Paris « a trop de vies qui s'entassent en elle. Il faut les dire. » Ses rues ont connu colère et joie, silence et fureur, calme et tumulte. Chaque rue, chaque carrefour a laissé des traces, et le narrateur les ressent très fort.
Mais son esprit est assailli, accaparé par trop d'agitation. Il doit s'économiser.
Il y a trop de morts à retourner. Il ne pensait pas qu'il y en avait autant.

Et on en revient à la question « Qui es-tu, toi ? », et au narrateur de se demander si le temps n'est pas venu pour lui de faire le point sur sa propre vie…
Avant tout, il veut calmer son esprit. Il ne veut pas sombrer dans la folie.

Cet homme marginal, ce vagabond, s'il traîne sur le parvis des gares, c'est parce qu'il veut faire entendre les engloutis. Mais « nos vies ne se résument pas à nos tristes fins ».
Il faut inviter la mort à danser. C'est la seule façon de la perdre. La musique s'empare d'elle.

L'homme qu'il a suivi durant toute la nuit, va bientôt le quitter. Maintenant ce sera au tour d'un autre. Maintenant, il dit « Encore… Encore… Encore la vie ! »

Il s'agit de vivre, de vivre avec intensité et densité. Il ne faut pas mourir vide.

Laurent Gaudé célèbre dans ce livre la mémoire de Grands Hommes de l'Histoire, tels que Hugo, Villon, Rimbaud, Verlaine, avec le cercle des poètes zutiques. Mais il n'oublie pas de citer d'héroïques anonymes.

Tout au long du livre, l'écriture est belle et enivrante. C'est très lyrique. On se retrouve dans un tourbillon permanent.
Ce livre est plus qu'une jolie ode à Paris, c'est une originale ode à la Vie.

« C'est à cause que tout doit finir que tout est si beau. »
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