La dame a une voix de bois rare, sonore, anormalement jeune, et qui passe droit du coeur à l'air. Son cerceau de chair n'est plus qu'une jupe gitane éthérée, légére, intangible. Le triomphe de l'âme sur les dégâts du poids, des ans, de la vie, du systéme, des hommes qui lui ont roulé dessus. Son timbre de mezzo-soprano nature consonne à ravir avec le répertoire paysan auquel elle est rompue, et qui a culotté son organe vocal comme une bonne pipe de marin. Sans compter l'air humide et brûlant de la plonge qui échauffe chaque jour ses voies phonatoires, comme sous la douche, au fond de la cale-cuisine dont elle a fait un théâtre d'opéra populaire. Un court instant, dans le vestibule, une sonorité de casserole paraît la trahir à cause des moquettes synthétiques et des lambris d'amiante, de thermoplastique, de résine polymérique. Mais Tamara finit par tapisser de son chant tous les faux placages du bateau. Sa voix devient chaude, pleine d'une sensualité primitive d'avant l'invention du péché, curieusement marquée de rayures microscopiques. (...) Elle n'a jamais écouté Carmen que sur un vieux vinyle. Avec son oreille parfaite, elle reproduit jusqu'aux impuretés des microsillons.