Payot - Marque Page - Madeline Miller - Galatea
Je le reconnaîtrais rien qu'au toucher, ou à son odeur, je le reconnaîtrais si j'étais aveugle, aux seuls bruits de sa respiration et de ses pas martelant le sol. Je le reconnaîtrais dans la mort, à la fin du monde.
"Dans une existence solitaire, il existe des moments rares où une autre âme plonge tout près de la vôtre, comme les étoiles qui s'approchent de la terre une fois par an. Pour moi, il avait été ce genre de constellation là." P.171 Circé à propos de Dédale
Il rouvrit les yeux.
— Trouve-moi un héros qui ait été heureux.
Je réfléchis. Héraclès était devenu fou avant de tuer sa famille ; Thésée avait perdu son épouse et son père ; les enfants de Jason et sa nouvelle femme avaient été assassinés par la précédente ; et si Bellérophon avait tué la Chimère, il était resté estropié après être tombé du dos de Pégase.
— Tu vois, tu ne peux pas.
Il s'était rassis, penché en avant.
— C'est vrai.
— Je sais. On ne te laisse jamais être à la fois célèbre et heureux, constata-t-il en arquant un sourcil.
Chiron nous avait appris un jour que les nations étaient la plus stupide et la plus mortelle des inventions. "Aucun homme ne vaut plus qu'un autre, d'où qu'il vienne."
Nous étions comme des dieux à l'aube du monde, en proie à une joie si vive qu'elle nous rendait incapables de voir autre chose que l'autre.
– Est-ce que tu viendras avec moi ?
Ah, l’éternelle souffrance de l’amour et du chagrin ! Dans une autre vie, j’aurais peut-être pu refuser, m’arracher les cheveux, hurler, et l’envoyer affronter son choix seul. Pas dans celle-ci. Il prendrait la mer et je le suivrais, même dans la mort. Oui, murmurai-je. Oui.
Clairement soulagé, il me tendit les bras. Je le laissais m’enlacer, nous presser l’un contre l’autre de tout notre long, si près, qu’il était impossible de glisser quoi que ce soit entre nous.
Chiron nous avait appris un jour que les nations étaient la plus stupide et la plus mortelle des inventions. "Aucun homme ne vaut plus qu'un autre, d'où qu'il vienne", avait-il expliqué. "Et si c'est ton ami ?", lui avait demandé Achille en faisant les pieds au mur dans la grotte rose. "Ou ton frère ? Faut-il tout de même le traiter en étranger ?"
"Les philosophes se disputent au sujet de cette question", avait repris Chiron. "Peut-être vaut-il plus pour toi. Mais cet étranger est aussi l'ami ou le frère de quelqu'un. Quelle vie doit primer ?" Nous étions restés silencieux. Nous avions quatorze ans, et ces problèmes nous dépassaient. À vingt-huit, ils nous dépassent toujours.
{...} À présent, je sais ce que je répondrais à Chiron. Je lui dirais qu'il n'y a pas de réponse. Qui que tu choisisses, tu as tort.
Et après tout, peut être que l'ultime chagrin consiste à se retrouver seul sur terre une fois que l'autre est parti
Achille m'observait.
-Tes cheveux ne s'aplatissent jamais complètement à cet endroit-là, constata-t-il en me touchant la tête juste derrière l'oreille. Je ne crois pas t'avoir déjà dit à quel point ça me plaît.
La peau de mon crâne me picotait là où ses doigts s'étaient posés.
-Non.
-J'aurais dû.
Sa main descendit jusqu'au V à la base de ma gorge, puis passa délicatement l'endroit où battait mon pouls.
-Et ça, continua-t-il. Je t'ai déjà dit ce que je pensais de ça, juste là ?
-Non.
-Et là ? Je t'ai sûrement dit ce que j'en pensais, non ? ajouta-t-il pendant que sa main courait sur les muscles de ma poitrine, réchauffant ma peau à son contact.
-Oui, tu m'en as déjà parlé, répondis-je d'une voix un peu hachée.
-Et ça ? Ce n'est pas possible que j'aie oublié ça, insista-t-il avec son sourire de chat. Dis-moi que je n'ai pas oublié.
-Tu n'as pas oublié.
Sa main ne s'arrêtait plus.
-Et là, aussi. Je sais que je te l'ai déjà dit.
Je fermai les yeux.
-Redis-le moi.
- La guerre m'a toujours semblé être un choix stupide pour les mortels. Quoi qu'ils puissent y gagner, ils ne disposent que d'une poignée d'années pour en profiter avant de mourir. Et le plus probable est qu'ils périssent en essayant.