Un jour, elle dit brusquement à Jenny :
— Que ferais-tu, toi, si tout à coup tu te trouvais sans parents, sans amis, sans argent ?
— Quelle horreur ! s’écria Jenny, où vas-tu chercher de pareilles idées ?
— Réponds-moi, je t’en prie.
— Eh bien, je travaillerais.
— À quoi ?
— À quoi ? Je ne sais pas trop. À l’aiguille ; j’irais en journée.
— Si tu n’avais pas d’ouvrage ? Si on ne te trouvait pas assez habile ?
— Je me ferais bonne d’enfants, femme de chambre.
— Si les femmes ne voulaient pas de toi, te trouvant trop jolie ?
— Ah ! tu m’ennuies ! s’écria Jenny. S’il m’était impossible de gagner ma vie, j’irais me jeter à l’eau.
— Mais si, là, continua Lucienne, tu trouvais un homme t’offrant la fortune et le bien-être, à la condition que tu feindras de l’aimer, que ferais-tu ?
— Je sauterais encore plus vite dans la rivière, dit Jenny gravement. On m’a enseigné qu’il vaut mieux mourir que de commettre certaines actions. Et elle ajouta en riant : — Ah çà ! pourquoi me fais-tu toutes ces questions saugrenues ?
— Pour savoir, dit Lucienne ; je songeais à ce que j’aurais fait sans mon oncle, quand je suis devenue orpheline.
— C’est vrai que ta position eût été affreuse, pauvre mignonne, dit Jenny ; mais puisque ton oncle est là et qu’il te gâte et t’aime comme si tu étais sa fille, il est bien inutile de te fourrer toutes ces vilaines idées dans la tête.