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Critique de le_Bison


Tu regardas par la fenêtre. Il pleuvait dehors, dors. Pourtant tu n'avais pas sommeil, la nuit se faisait noire, la pluie froide. Elle dégoulinait le long de la vitre, laissant des traces à travers le reflet du clair de la lune. Tu enfilas un vieux sweat, odeur de sueur et de cigarettes. Ta veste. Tu sortis, sous la pluie, sous la nuit, les cheveux trempés en quelques secondes, les os à essorer. Pas d'étoiles ce soir, des nuages lourds et noirs. Un brin de lumière aux détours de cette rue, réverbères fatigués, tu t'y dirigeas, comme un zombi perdu dans ce coin obscurci. Tu entras, lumières tamisées, t'attendis à un vacarme, avant de comprendre que la tempête emmena le calme. Un pub au milieu de la nuit, au milieu de la pluie. Assis au comptoir, on te servit une pinte, sans même te regarder, l'habitude des gens, des vies, des nuits. Une envie, le regard par terre, poussière de cendres et de sciure, tes pieds s'engagea vers le fond du bar, à droite du comptoir, la porte des toilettes, celle de gauche, MESSIEURS écrit en gros, et des bites en train d'éjaculer dessinées au feutre. Pisser à gros jets, plaisirs saccadés.

Tu retournas t'asseoir sur ce haut tabouret de bois, marqué par des années de culs et de cigarettes écrasées. A point nommé, la bière coula le long de ton gosier. Elle te fut salvatrice, cette ambre dorée car t'apporta ce sentiment d'humanité. D'appartenir à un clan, au milieu des tiens. Dans le silence de la nuit, où un vent apporta le fumet de la tourbe irlandaise. Ta vie ainsi résumée, un verre et tu sortis un bouquin. Des poèmes de T.S. Eliot pour repenser à elle, cette femme plus âgée au sourire encore plus engagée :

L'aube point, et un nouveau jour
S'apprête à la chaleur et au silence. le vent de l'aube
Ondule et glisse sur la mer. Je suis ici
Ou là, ou bien ailleurs. En mon commencement.

Le commencement fut ce jour où tu croisas, tout timide, ce premier regard, les yeux qui plongèrent dans les yeux. le jour où tu caressas ses jambes où tu embrassas son ventre, ses mains se glissant autour du tien. le silence régnait dans la pénombre du jour, de la chambre illuminée juste par deux chandelles. Tu écoutais son souffle, tu sentais son coeur, tu respirais son désir. Un désir impatient comme attendu depuis tant d'années, malgré ton jeune âge, car au fond de toi, tu étais vieux, bien plus vieux que ton visage laissait paraître, les rides de la vie incrustées à l'intérieur de toi.

Le ciel commença à peine à se lever, des rayons de lumière à l'horizon. Toujours au comptoir, pas un regard pour le pauvre type en face de toi. Ah non, c'est un miroir, normal. La pluie martelait encore le macadam, dans une cadence plus légère, voyait la danse improvisée des quelques personnes ivres cherchant leur chemin du retour. Tu as oublié depuis combien de temps tu fus assis là, combien de fûts le tavernier a dû changer en cette soirée, plongé dans les poèmes d'Eliot que tu découvris cette nuit :

Le matin s'ouvre à la conscience
D'un relent de bière éventée
Qui monte, vague, de la rue
Jonchée de sciure martelée
Par tous les pieds boueux qui gagnent
Les zincs de l'aube.

Elle était blonde ou brune, cette pinte à la douce amertume, cette femme au prénom en a. Depuis que tu as échangé son regard au bord d'une route, évidence ou hasard, tu n'as cessé de penser à elle, de l'imaginer même quand tu étais seul dans ton lit, tu la caressais de ton imagination, l'enveloppait de ton âme. Elle te proposait un verre de vin, une pinte, tu sortais deux verres de whisky, finir ivre dans son lit, ivre de désir et de son parfum. Vous vous soûliez tous les deux, peut-être pour oublier vos histoires de solitude, c'était peut-être ça l'histoire d'amour que tu attendais. Tant pis pour la gueule de bois du lendemain. Tant pis si elle se retourna et ne te montra plus que son dos aux longs cheveux noirs.

Un violent rayon de soleil vint percuter l'ombre du pub, à travers les carreaux sales de Dublin. L'heure. Quelle heure, d'ailleurs ? le tic-tac de l'horloge s'est tu depuis des heures, masqué par la musique sortie des deux enceintes en face de toi. Cette nuit tu as eu le droit à ta play-list favorite, musique enchaînée à la guitare déchaînée. With or without you, la bande à Bono me plongea ainsi un peu plus dans la dépression solitaire du type devant son premier verre. Sinead O'Connor, crane rasé, Nothing compares 2 U, oui, nothhing, nothing, rien... pas même la seconde pinte qui m'accompagna tristement. le folklore irlandais continua ses complaintes, Mark Lanegan presque irlandais et une nouvelle pinte. The gravedigger's song. Des têtes déjà croisées au bout d'un comptoir, à la lumière du jour ou des néons. Separate Ways, la guitare de Gary Moore entra en scène et je bus dans son regard jusqu'à me noyer d'amour et de chagrin. Triste fin.


Bon, les amis, je vous laisse, une bière m'attend, c'est la Saint Patrick, putain.
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