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Critique de hcdahlem


Et si le plus beau des romans n'en était pas un? Et si une fois encore la réalité dépassait la fiction? Avec «Le Prix» Cyril Gely a construit une petite merveille à partir de personnages ayant réellement existé, les scientifiques Otto Hahn et Lise Meitner. Si, au fil du récit, le lecteur va découvrir les grandes lignes de leurs biographies respectives, c'est avant tout leur rencontre dans un hôtel de Stockholm le 10 décembre 1946 qui va faire de ce récit une tragédie digne des classiques tels qu'énoncés par Boileau en 1674 dans L'Art poétique:
« Qu'en un lieu, qu'en un jour, un seul fait accompli
Tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli. »
Si le deux chercheurs se retrouvent dans la capitale suédoise, c'est parce qu'Otto Hahn vient y réceptionner le Prix Nobel qui lui a été décerné deux ans plus tôt pour sa découverte sur la fission nucléaire. de fission, c'est-à-dire de l'éclatement d'un noyau instable en deux noyaux plus légers, il va en être beaucoup question dans ce huis-clos, au moins au sens symbolique. Car Otto et Lise ont travaillé ensemble durant plus de trente ans, après leur rencontre en 1907 à l'Institut de chimie de l'université de Berlin. C'est conjointement qu'ils mèneront leurs recherches et publierons jusqu'au 12 juillet 1938. Une complicité de tous les instants, même s'il n'est pas question d'amour. «Ensemble, ils faisaient des merveilles», comme lorsqu'ils interprétaient la Mélodie hongroise de Schubert.
Mais le poids de l'Histoire vient mettre un terme brutal à cette relation. Après l'Anschluss, Lise l'Autrichienne devient citoyenne allemande et sa religion juive devient alors un fardeau de plus en plus pesant. Lise doit fuir et tenter de gagner la Suède via les Pays-Bas.
Otto et Lise vont pouvoir échanger quelques lettres, faire le point sur leurs recherches. Car ils sont proches du but: «La solution, ils la tenaient. Ils l'avaient sur le bout de la langue, encore un mois ou deux, et ils allaient la révéler au monde entier.»
Mais au moment de conclure leurs travaux, Otto publiera seul l'article qui lui vaudra le Nobel.
Lise n'est pas venue le féliciter, mais demander des comptes. Passe encore qu'elle ne soit pas associée à cette distinction, mais pourquoi – maintenant que la Seconde Guerre mondiale a pris fin – ne mentionne-t-il même pas le nom de la physicienne dans son discours?
Une accusation qui fait sortir l'Allemand de ses gonds: «Je t'ai sauvée la vie, j'ai pris des risques, je t'ai confié la bague de ma mère. Et toi, tu reviens huit ans plus tard, avec des allégations pleines de fiel! Si tu n'étais pas Lise Meitner, si nous n'avions pas en commun plus de trente années de travaux, il y a longtemps que je t'aurais mise dehors! »
Mais la physicienne a du répondant. Des arguments tout aussi percutants. Jamais l'adage «derrière chaque grand homme, se cache une femme» n'a paru plus pertinent. Car il semble bien que sans Lise, Otto ne serait pas dans cet hôtel, se préparant à recevoir la plus belle des récompenses pour un scientifique. Pour faire bonne mesure, on ajoutera la collaboration avec le régime nazi à cet «oubli».
Cyril Gely, qui a derrière lui de grands succès au théâtre et comme scénariste, nous offre des dialogues ciselés, une tension dramatique qui va crescendo jusqu'à l'épilogue, sans oublier quelques clins d'oeil allant vers le Vaudeville quand on apprend, par exemple, que l'épouse d'Otto loge dans la chambre contigüe et que la porte peut s'ouvrir à chaque instant.
Subtilement, les arguments de l'un et de l'autre vont se confronter, donnant au lecteur tous les éléments pour se forger une opinion. le fruit de la passion commune est mûr au moment d'enfiler le smoking pour rejoindre la grande réception. À vous de le cueillir. Et de savourer avec moi ce chef d'oeuvre, car cette confrontation pose des questions qui n'ont pas perdu de leur acuité aujourd'hui. de l'antisémitisme latent à la place des femmes dans la société, de la résistance face à un pouvoir inique à la responsabilité des scientifiques quant à l'usage qui sera fait de leur découverte.

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