Citations sur Fous d'Hervé : Correspondance autour d'Hervé Guibert (4)
L'esprit d'un écrivain qui nous est cher parle à travers les pages des livres qu'il a écrits. Les mots qui s'en échappent, alors que le corps qui les a enfantés gît sous terre, agissent sur mon corps au coeur encore battant. Boum-boum. Boum-boum. Boum-boum... Il faut juste tendre l'oreille. Ouvrir "Le mausolée des amants" et y trouver cette phrase : " Et toi, lecteur ou lectrice de ces lignes, si tu n'as non plus aucun espoir, crois-moi, tu peux toujours le retrouver, même si tu te sens seul(e) sache que depuis ma tombe je veux te réconforter comme on vient de le faire pour moi." (p. 290)
Arnaud Genon, p.80
(La confidence du professeur).
Son style, parfois haletant, avec de temps en temps des phrases longues de deux pages, m'entraînait dans le rythme insensé de sa folie. Oui, folie il y a bien eu car comme le dit le narrateur d'"A l'ami" : "Je tiens à mon livre plus qu'à ma vie" ("A l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie", p. 257) Cette profession de foi en la littérature résonnait dans mon inconscient, moi qui ai fait mon métier d'écrire ... sur les autres, et de ne pas risquer la vraie vie. A travers lui, je vivais les expériences les plus insensées, à l'abîme de la raison. Puis il y eut sa mort autour de Noël, et comme un cadeau d'outre-tombe, son film, où sa chair nue et décharnée était livrée aux yeux du spectateur. Etions-nous pudiques ou impudiques de regarder ce spectacle - car c'était bien un spectacle que Guibert avait mis en scène ?
Jean-Pierre Boulé, p. 49
Ce qui me fascine dans votre travail [celui de Christophe Donner], c'est ce que je trouvais chez Guibert. Une littérature ancrée dans la vie, dans le réel, dans le corps. Une littérature qui dit vrai. J'ai toujours pensé que les écrivains narcissiques n'étaient pas ceux qui parlaient d'eux-mêmes, mais ceux qui se regardaient écrire, qui jouissent de leurs belles phrases, de leurs bons mots, qui se perdent dans les mensonges qu'ils (se) racontent. Au contraire, les écrivains du "je" s'écrivent comme s'ils étaient aveugles pour eux-mêmes. Ils ne cherchent pas à se faire plaisir, à se conforter dans l'image qu'ils donnent. Ils ne prennent pas la pose. Ils sont dans la vie, dans son mouvement. Pour Hervé Guibert, c'était le mouvement qui le menait à la mort, il n'avait pas le temps de s'arrêter, de se contempler. C'est peut-être pour cela qu'il avait écrit "Des aveugles" quand vous avez réalisé un très beau film, "Anatomie d'un miracle", sur un jeune garçon, Marco, sourd et aveugle de naissance. Cette fascination ne cache-t-elle pas le désir de ne pas se voir ? Narcisse ne serait pas mort s'il n'avait jamais croisé du regard son propre reflet.
p. 165
Lettre d'Arthur Dreyfus, 30 août 2021.
... J'ai aussi découvert chez Guibert une sorte de jouissance à parler de soi dans le détail de la chair et du secret, comme si la matière enfouie sous n'importe quel destin valait son pesant d'or, qu'il suffisait de déterrer. C'est une jouissance close et égoïste, un peu perverse certes, mais si puissante chez un écrivain.
... Voilà, en fait, ce qui m'a impressionné dès l'origine chez Guibert. Cette incroyable considération appliquée à ses livres, à la chose écrite. L'extraordinaire abnégation de soi pour le bénéfice de la seule écriture. Une sorte de dieu laïque placé dans le texte, dans le fait d'écrire : cette religion-là.
pp. 97-98