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Critique de Biblioroz


Solange longe la berge, serrant sous son manteau un tapis de laine volé aux Galeries Clasquin. Un bref désir, une impulsion, un élan de folie possessive. Tremblante de son acte, hoquetante de peur, son attitude met en alerte l'homme déguisé en Père Noël qui la regarde du haut du quai. Mû par un sentiment d'urgence, craignant qu'elle se jette à l'eau, il descend les escaliers, la rejoint tout essoufflé. Dans sa tête tourne cette prière « Il ne faut pas qu'elle rie. » Embauché pour être pris en photo-souvenir avec les enfants de passage au centre commercial, il était sorti faire une pause d'où son accoutrement de Père-Noël. « Sa tenue guignolesque avec sa houppelande mal ajustée » pourrait en effet déclencher l'hilarité.
Après cette scène initiale qui sonnera la rencontre singulière de Pierre et de Solange, Sylvie Germain suit la femme chez ses beaux-parents, les Bérynx. La belle-mère est fade, prisonnière des convenances sociales alors que Charlam, le beau-père, se dresse en patriarche, tenant les cordons de la bourse familiale et désirant tout régenter, y compris le commerce de Solange veuve depuis un peu plus d'un an. Elle seule connaît les circonstances qui ont conduit à l'accident mortel de son mari, un accès de fureur contre sa femme pour un billet de loterie égaré.
Depuis, à chaque saison, sur le platane ayant stoppé net la voiture de Georges, un bouquet flamboyant pour le disparu atteste, peut-être, de l'existence d'une maîtresse… La révélation sur ces fleurs écarlates sera troublante.

Dans les livres de Sylvie Germain, c'est son amour des mots qui nous happe immédiatement. Sa plume, si admirable, fascine, étourdit, et il faut presque se forcer à y saisir les indices qui portent l'histoire. Je me laisserais facilement bercer par la musicalité de ses phrases, en oubliant d'être attentive au déroulé du roman ! Celui-ci tourne autour de la famille, environnement où se construit un individu. L'impact de l'enfance semble déterminer, avec plus ou moins de force, plus ou moins de blessures, le devenir des uns et des autres.
Au sein de cette famille Bérynx vient se greffer Pierre qui prend sa décision à pile ou face lorsque Sabine lui propose de venir travailler dans son commerce. Pierre, l'énigmatique, le solitaire sans aucune attache familiale, ne se dévoile pas et esquisse habilement les questions sur sa vie privée, son passé, ses désirs. Neuf ans plus tard, dans l'esprit de Charlam, le patriarche, il restera le « Braconnier », un intrigant qui « sentait la rue » et pour lequel il nourrit une profonde aversion.
Petit à petit, de son écriture envoûtante, Sylvie Germain déchiffre les êtres, leurs désirs cachés, leur frustration, leurs excès, leur mal-être, les marques de l'enfance dont on ne se dépouille pas si facilement.
Avec Pierre, alors qu'il semble vivre en lisière de la famille Bérynx, elle s'attache aux traces laissées après son départ subit. Des traces qui pourraient rester inaperçues mais qui se révèlent déterminantes, qui ont creusé des sillons plus ou moins profonds chez les uns et les autres pour ouvrir d'autres voies à leurs vies.

Dans ce roman, Pierre peut être l'inaperçu mais il faut saisir aussi les multiples visages que peut prendre l'inaperçu niché chez les autres personnages. Il peut être celui d'un secret, de sentiments précieusement masqués, d'une culpabilité, d'un traumatisme enfoui, refoulé. L'intérieur de chaque être se construit d'éléments disparates auxquels s'ajoutent, parfois, l'un des évènements honteux inscrits dans l'Histoire. On comprendra alors, le coeur serré, l'importance des premiers mots que Pierre a adressés à Sabine « Ne riez pas ! »
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