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Critique de SophieLesBasBleus


Historienne de la photographie, Elisabeth Bathori hérite d'une grande maison dans l'Allier et de l'histoire d'une famille qui lui est encore inconnue, celle d'Alix de Chalendar qui lui a confié, avant de mourir et d'en faire son héritière, la correspondance que son oncle Alban de Willecot a entretenu, alors qu'il était au front de 1914 à 1917, avec Anatole Massis, poète de renom. Brisée par la mort récente de son mari, Elisabeth investit peu à peu les traces laissées par ces autres, qui furent vivants, et tente de reconstruire leurs histoires à partir de fragments éparpillés qu'elle glane patiemment. Les lettres envoyées par Alban scandent le récit de la jeune femme en un contrepoint énigmatique et bouleversant. En remontant ainsi le fil du temps par des photos, des témoignages, des rencontres, Elisabeth chemine doucement à l'intérieur de son chagrin, comme dans un mouvement inverse à son enquête dans le passé.
Les motifs de la perte, de la disparition et de la mémoire ne cessent de hanter ce roman foisonnant, qui opère de magnifiques trouées dans le temps pour faire se rejoindre les personnages dans une douleur similaire. Les découvertes d'Elisabeth forment progressivement une histoire que la construction narrative nous dévoile par bribes qui se rejoignent et s'emboîtent comme les pièces d'un puzzle. Ce dévoilement progressif attise sans cesse la curiosité du lecteur dont l'intérêt est constamment relancé par les multiples ramifications de chaque intrigue. Comme Elisabeth Bathori, on est emporté par la soif de comprendre et de construire l'histoire de chaque personnage. C'est époustouflant de maîtrise et de rigueur !
Mais cette habileté narrative ne serait que bel emballage si elle n'était que le support d'une intrigue à suspense. Ce roman extraordinaire va bien plus loin, creuse bien plus profond les sillons de la mémoire, et sa remarquable forme narrative met en place une réflexion sur les traces qui subsistent de vies passées. Quelle place leur fait-on dans nos vies de vivants ? Conserver ? Détruire ? Archiver ? Montrer ? Expliquer ? Cacher ? Exposer ? Et pour quoi ? Quelle place leur laisse-t-on institutionnellement, avec le point de vue d'Elisabeth, professionnelle de l'archivage, et à l'intérieur de la sphère familiale, avec le point de vue d'Alix et de Violeta ? Que fait-on des joies, des peines et des souffrances de nos proches aïeux disparus ? Quel héritage nous laissent les belles choses ou les infâmantes qu'ils ont réalisées ? Quelle influence ces empreintes de destinées closes peuvent-elles avoir sur celles en train de se façonner ? Toutes ces problématiques affleurent très subtilement sous le tissage des intrigues et des temporalités et donnent encore plus d'ampleur au roman d'Hélène Gestern.
J'ai ressenti une émotion poignante en lisant "L'odeur de la forêt". Une émotion due à sa puissance romanesque, mais aussi à cette écriture absolument somptueuse qui sait aussi bien évoquer l'épouvantable boucherie de la guerre que la douceur insouciante d'une chatte blanche. Une écriture très pure et belle, qui sait se faire douce et compatissante, qui fait s'épanouir toute la palette des sentiments humains et décrire l'angoisse d'une errance dans les bois comme la plénitude d'une vieille maison de famille.
Vous l'aurez compris : "L'odeur de la forêt" est, pour moi, un roman qui possède toutes les magies !
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