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Critique de Biblioroz


Gunflint, dans le Minnesota, un matin d'hiver affichant une température bien négative, Gus vint frapper chez Berit. Déjà, en novembre, il était venu lui annoncer que son père, Harry, était parti dans les bois. Un départ sans retour possible selon lui, persuadé dès lors que les recherches seront vaines. Cette fois-ci, dans ses mains, le bonnet de laine rouge de son père, un bonnet privé de son pompon habituel remplacé par un flotteur en liège. Ce simple objet retrouvé brise le coeur de la vieille Berit, pour elle il représente « la preuve de l'ultime peine de coeur » qu'elle peut encore ressentir si intensément pour le seul homme qui ait compté dans sa vie.
Se réchauffant de tasses de café, assis à côté de Berit, Gus veut tenter de comprendre ce départ. Celui-ci peut-il être, enjambant toutes les années traversées depuis, un pont suspendu vers un autre hiver, alors que lui-même était tout jeune, à peine dix-huit ans, trente-trois ans plus tôt ?

Alors Gus parle et Berit donne forme aux souvenirs de ce fils qu'elle aurait pu avoir si Harry l'avait choisie, elle, dès le début. Face à Gus qui lui renvoie l'image de son père, avec ce même sourire, ce choix identique des mots, ces mêmes gestes, elle retourne aussi dans le passé, son passé, ce temps où elle attendait le bonheur qu'elle espérait tant et qui a fini par venir après le divorce d'Harry.

Mais revenons au récit de Gus, celui qui emmène le lecteur, alors que l'hiver 1963 pointe son nez, dans une expédition vers le Nord. Pourquoi, subitement, cette proposition d'un père à son fils de partir hiverner ? Harry avait planifié ce départ de longue date mais Gus en ignorait tout. Est-ce juste une aventure, le désir de partager une excursion avec son fils, ou bien une envie d'échapper à une vie devenue difficile, une fuite ?
Nous guidant magnifiquement « au fin fond du monde sauvage », Peter Geye nous confronte à ce duo plutôt mutique, nous laissant alors tout le loisir de saisir cet espace fait de rivières, de lacs, de gouffres et de précipices. Les canoës chargés sont poussés sur la rivière. Des eaux indomptables, des pagaies plongées dans le courant, des bois dénudés où le souffle glacé nous transperce. La voix puissante du père entonnant des chansons françaises, la mandoline de Gus au coin du feu, les étoiles apparaissant au-dessus de leurs têtes. La ligne lancée pour que quelques filets de brochets complètent le riz dans les assiettes en étain.
Les chutes qui se succèdent nécessitent de nombreux portages, les avancées suivent les sinuosités de la rivière vers le Bois Brûlé puis au-delà, vers les régions frontalières avec le Canada, jusqu'à une cabane où ils poseront leurs sacs.
Derrière eux, de plus en plus loin, la vie à Gunflint, le clan des Aas et leurs affaires douteuses…

Berit vient compléter l'histoire d'Harry, ses propres visions et sentiments envers cet homme diffèrent de ceux de Gus. Son regard sur ses proches, et surtout sur ses ascendants est empreint d'indulgence. Car dans tous les souvenirs évoqués, les conflits et mésententes intergénérationnels se transmettent au sein de cette famille d'origine norvégienne. Les générations précédentes ont laissé des séquelles ressenties dans l'histoire présente, laissant filer aussi de tristes solitudes. Et pour Berit, rien n'est plus beau que le privilège d'être aimée.

Ce roman, c'est un père, un fils, au beau milieu d'un monde sauvage, une femme fidèle à son tout premier sentiment amoureux qui fait ressurgir, avec émotion, tout le passé d'un homme. C'est aussi la répercussion d'ondes provenant des ancêtres, les secrets des uns et des autres rejaillissant dans les vies d'aujourd'hui.

La nature humaine s'affronte dans une nature accidentée qui donne tout son relief à cette lecture magnétique.
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