J'aimais reproduire ses gestes comme pour le faire apparaître. Contrefaire son âme pour tromper la mienne.
Profession : Écrivain. Ma mère complétai cette rubrique administrative par le mot « poétesse ». Un métier comme un autre que j'avais appris à reporter dans la case réservée au père, la mention "décédé ", sans les larmes ni le drame. Ces deux mots résumant la singularité des premières années de ma vie.
Le monde réel fut d'emblée relégué sur les bas-côtés, ma mère n'y voyait rien de capital à m'enseigner. Tout était prétexte à sonder l'imaginaire. Le premier degré, l'analyse des faits étaient le point de départ d'histoires où le mythe auréolait des acteurs inconscients de leurs propres rôles. Le monde réel était transformé par des mots sans modération et sans mesure. Tyrannie de notre imaginaire et personne pour le contester. (p1112)
J'ai quand même posé la question, par cruauté ou par innocence, peut-être, je ne sais plus.
"Il va revenir aujourd'hui, papa ? "
A six ans, jouer l'ignorance quand on a parfaitement compris.
Mourir n'empêche pas un père de revenir à la maison. Mourir est un acte comme un autre.
Nous vivions muettes, les mots n'avaient pas leur place ici...
La mer écumait le bord des mots, raturait les lettres inutiles...
La disparition de mon père avait inspiré ses plus beaux poèmes, mais la vie tout entière était devenue à ses yeux une strophe de poème où le mot "mort" est sans cesse paraphrasé...
J'ai dessiné un graffiti sur la table, un cœur sans doute, à l'aide de mon index...
elle dessina deux autres cœurs sur la table à proximité du mien. Je compris ce qu'elle voulait me dire. Sans un mot je traçai une ligne séparatrice qui lui signifiait que l'un d'eux était passé de l'autre côté.