AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Lou987


Toutes blessent la dernière tue, de Karine Giebel, est une sorte de thriller. Avant tout, je tiens à préciser que je ne suis pas l'auteure, et que c'était mon premier livre d'elle. Je ne connais donc pas ses autres ouvrages, et ne jugerai que ce que j'ai lu de la manière avec laquelle je l'ai perçu.

Ensuite, je tiens à dire que j'ai été très déçue. Ce livre ne m'a pas plu du tout.
1/ La thématique : l'esclavage moderne. J'ai trouvé cette idée très intéressante et très attractive. J'étais donc très pressée de le lire : un livre qui traite de ce sujet très confidentiel, dont personne ne parle, doit être bon. Je suis rassurée, au vu de la qualité du livre de Karine Giebel, qu'elle a fait ses propres recherches avant d'écrire dessus. Il faut savoir que je ne nierai pas, dans cette critique, la violence de l'esclavage moderne, ni même la réalité de ce fléau. Je pense que j'avais de l'espoir en recevant ce livre, de voir quelque chose de différent et d'inédit, qui montrerait enfin la réalité sur le monde tordu d'aujourd'hui. Cependant, et selon moi toujours, la thématique est le seul point fort de cet ouvrage.
2/ Les points de vue : Karine Giebel, qui veut mettre le lecteur dans la peau de plusieurs personnages et essayer de leur faire ressentir ce que chacun d'entre eux ressent, s'y perd. En tout cas, elle a perdu la lectrice que j'étais. Ce roman alterne trop les différents points de vue : Tama (1ère personne du singulier et troisième personne du singulier, selon les chapitres et parties de chapitres), Gabriel (pareil), Izri (pareil), etc. Tout un mélange de voix et de points de vue qui m'ont décontenancée et perdue : je n'ai pas réussi à en comprendre l'utilité et la raison. À mon avis, c'était de trop, et nous plonger dans la tête de Tama, de Gabriel ou d'Izri en parlant à la 1ère personne du singulier aurait amplement suffit. Là, ça n'a servi qu'à m'emmêler les pinceaux, à me demander qui était qui, qui parlait, pourquoi d'un coup, sans autre repère qu'une astérisque, le narrateur changeait de point de vue. Peut-être est-ce ici la signature de Karine Giebel, mais puisque je n'ai rien lu d'autre je me contente de critiquer ce seul livre. L'alternance des points de vue du narrateur était superflue.
3/ Romancer une thématique réelle : c'est un exercice difficile auquel, selon moi toujours, Karine Giebel a ici échoué. En effet, son ouvrage est beaucoup trop romancé. En vérité, je vais oser le dire comme ça, mais en vérité, ça dégouline de romance, littéralement. C'est ce que je trouve dommage : je m'attendais à un polar proche de la réalité, sans fioritures ni guimauve, et j'ai eu exactement ça. le policier, ça fait vibrer, ça transmet de l'émotion sans vraiment en transmettre directement, oui, voilà, ça se passe dans l'indirect, dans le sous-jacent. Toutes blessent la dernière tue est l'opposé. Au début, j'ai apprécié : l'intrigue démarre fort, on a envie de savoir la suite, que va devenir Tama, va-t-elle s'en sortir, retrouver sa famille, et puis rapidement, on se sent submergé par le trop-plein d'émotions que veut transmettre l'auteure via son style. Un style emphatique, exagéré, à base de répétitions et de figures de style qui veulent faire ressentir. Mais à trop vouloir faire ressentir, on lasse. le style m'a rapidement lassée, j'en ai eu marre de lire des anaphores langoureuses et mielleuses ou alors qui se veulent dramatico-mélancolico-tragiques, comme : « Mon homme est un braqueur. Un braqueur à main armée. Mon homme risque la perpétuité. » Parfois, j'ai eu l'impression d'être dans un de ces films américains, avec des gros muscles et beaucoup d'action, dont les punchlines ne valent pas cher « Meurtre avec préméditation. Assassinat. » (p. 437). J'entends bien que l'auteure a tenté, ici, de nous mettre en condition et de faire comme si on suivait Tama dans ses mésaventures. Simplement, elle a trop insisté et trop essayé, au point que les tournures des phrases sont lourdes et répétées, façon scénario dramatique de film (pas forcément réussi), on en vient à lever les yeux au ciel « Assise contre un mur, elle est terrifiée. Assise contre un mur, elle fixe la porte qui lui fait face. » (p. 445) ; « Conversation surréaliste pour émailler un petit déjeuner. Conversation avec un tueur. » (p. 464). Cette espèce de lourdeur dans le style trahit l'ardent désir de l'auteure de nous faire ressentir ce que vivent les personnages. Mais l'emphase dessert ici son objectif : vraiment, à chaque page — ou presque — il y a ce type d'anaphore tragique. À cause de ce style, la thématique a été, selon moi, mal traitée. « ¬— Gabriel, répéta-t-elle. L'ange qui a refusé de suivre Lucifer… » (p. 453) : à chacune de ce type de phrase — qui clôt en général un chapitre — j'ai entendu le « Tintintin ! » musical de la punchline du film américain, en mode gros zoom sur le visage de l'acteur principal tout égratigné, l'oeil vif et brillant d'un désir de vengeance et clap ! séquence noire pour passer à la scène suivante. Ce polar est dans l'exagération permanente, ce qui m'a agacée. Néanmoins, je tenais à le terminer, je me disais que peut-être, ça irait mieux après. J'ai été déçue. Karine Giebel a voulu romancer un thème aussi dur et sensible et secret que l'esclavage moderne et s'y est perdue, dans la guimauve et la niaiserie.
4/ le personnage de Tama : je me suis prise d'affection pour elle, au début. Elle ne comprend pas ce qui lui arrive, l'auteure a su, seulement au début de l'histoire, communiquer son incompréhension et sa colère. Plus tard, à partir du moment où elle quitte ses premiers maîtres, ça part un peu dans tous les sens. Tama, fillette arrachée à son pays, qui n'est jamais allée à l'école et qui n'a lu que des livres, tient parfois des propos étonnants, qui sont allés jusqu'à la décrédibiliser — à mes yeux. Tantôt elle parle de repas, tantôt elle parle de bouffe, tantôt elle parle de livres, tantôt elle parle de bouquins. Ce sont des changements de registre ne sont pas cohérents : certes, elle traîne avec une bande de criminels (ainsi qu'il l'est mille fois répété dans le livre, avec force d'adjectifs et de phrases à suspense), mais dans ces prises de parole, son langage est correct et reflète une jeune fille qui n'a appris à parler vraiment que grâce aux livres. Alors pourquoi « bouffe », « bouquins » ? Je n'en sais rien, mais leur lecture m'a perturbée, ces mots font perdre son charme à Tama. Un autre élément m'a déçue : ce genre de passage « En l'observant à la dérobée, je vois qu'il a encore grossi. Il n'est pas obèse, non, juste un peu gras. Presque aussi grand qu'Izri, mais un physique plutôt quelconque. Greg n'a pas été gâté par la nature. Visage passe-partout, corps mou, silhouette sans élégance. Ses yeux marrin manquent cruellement d'éclat et de profondeur. Ni charme, ni charisme. » (p. 459). Ce jugement physique, de la part de Tama, m'a étonnée. Il ne s'agit pas ici d'une description du narrateur externe, mais bien de sa part à elle. Il est maladroit de constater qu'elle prête attention à ce genre de détail, elle qui n'a d'yeux que pour Izri, qui ne regarde personne d'autre et ne se soucie de personne d'autre. J'ai trouvé ça plutôt malvenu.
5/ La relation Tama-Izri : elle a pris le pas sur le thème de l'esclavage moderne. Elle est partout, elle dégouline à chaque page, c'en est suffoquant, c'en est vraiment trop. Cette relation est excessive, elle n'a rien de doux ou de sensuel, non, le lecteur voit tout, entend tout, sait tout, rien n'est suggéré, tout est dit, montré, clamé et proclamé. Ce polar s'est transformé en histoire d'amour, au détriment du sujet sérieux qu'il traitait au départ. Et cela m'a bien, bien déçue. Je ne pensais pas lire une romance, mais vraiment un policier haletant qui vous coupe le souffle. J'ai également été surprise que la violence avec laquelle Izri bat Tama ne soit pas davantage creusée : certes, « elle lui vient de son père », mais n'est-ce pas le pardonner et le dédouaner que de dire « ce n'est pas sa faute, il a été élevé dans un environnement violent » ? On appelle ça des circonstances atténuantes, mais je refuse de fermer les yeux sur cet homme qui frappe Tama à plusieurs reprises : je veux bien que l'amour rende aveugle, mais ne pas davantage chercher de solution à ce problème, dans un roman grand public, de la part de l'auteure, est problématique selon moi. Il n'est pas question de cautionner ce genre de comportement, et je sais que Karine Giebel ne le cautionne pas non plus. Mon impression était néanmoins mitigée car j'ai vraiment eu l'impression de lire « Izri frappe Tama de temps en temps, mais il a été battu et torturé étant petit, il faut comprendre. » Certes, mais est-ce qu'il faut accepter ? Que Tama l'accepte est un énième défaut du livre : elle qui se bat contre la violence, contre sa condition, pour survivre, ne devrait-elle pas mettre un stop à cette attitude d'Izri ? Elle qui semble si forte et déterminée, ne devrait-elle pas se battre pour sa dignité et remettre Izri en place de temps en temps ? Ce personnage et leur relation n'ont pas beaucoup de cohérence et m'ont lassée.
6/ La taille du livre : 732 pages. C'est vraiment, vraiment, excessif. le style de l'auteure, assez lourd et langoureux, a allongé une histoire qui aurait pu faire la moitié des pages. J'ai trouvé le temps long et pas nécessaire. Au début, j'ai accroché, mais j'ai rapidement déchanté, j'ai compris que c'allait être une histoire d'amour et non un policier, et la lecture de chaque page était pénible. Pénible, parce qu'on voyait venir les choses, le style de l'auteure, les excès mélancoliques et dramatico-tragiques. 732 pages, pour le contenu que c'est, et la fin expédiée en deux pages, c'est trop long. Je ne vous dis même pas le poids du livre quand on le lit — mais là n'est pas le propos. Tout est excessif dans ce livre, jusqu'à sa pagination.

Je terminerai en disant que le lecteur devine effectivement la volonté de Karine Giebel de faire ressentir la violence, la peur, et tous ces sentiments qui caractérisent une esclave moderne. Selon moi, elle s'y est perdue, le policier s'est transformé en histoire d'amour classique, à trop vouloir nous communiquer ses sentiments, elle m'a lassée et presque agacée. Je voulais lire quelque chose sur l'esclavage moderne : au début, c'était le cas, l'amour a rapidement pris le dessus et le thème a été balayé par l'ordinaire d'une romance. C'est dommage, et je pense que ce sera mon sentiment final sur ce livre, c'est dommage : il y avait le potentiel de faire quelque chose qui sort du commun, je me réjouissais, je voulais savoir ce que Tama allait devenir, comment elle allait briser ses chaînes, mais je n'ai lu que des pages dégoulinantes et mièvres. C'est un polar de moindre qualité et de peu d'intérêt.
Je peux paraître injuste pour les mordus de Karine Giebel, mais je n'ai vraiment pas apprécié ce livre, qui m'a fait espéré quelque chose et m'a donné l'opposé de ce que j'attendais : quand la fiction tue la réalité et le réalisme.
Commenter  J’apprécie          143



Ont apprécié cette critique (9)voir plus




{* *}