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Après "D'ombre et de silence", Karine Giebel nous offre un nouveau recueil tout en noir, humain, engagé, bouleversant, qui agit comme un révélateur, nous faisant ouvrir les yeux sur le monde en dépit de son opacité et de sa noirceur.
C'est ça, être vivant. C'est ça, exister.
Exister, c'est manquer à quelqu'un.
Exister, c'est être la douleur d'un autre.
(p. 180-181)
Mieux qu'une armada de caméras de surveillance : une mamie postée derrière une fenêtre !
En face d'elle, sur le mur décrépi, une citation taguée. Par un prisonnier, il y a longtemps. Ou par un maton. Une phrase qu'elle n'oubliera jamais.
"Nous ne pouvons juger du degré de civilisation d'une nation qu'en visitant ses prisons." Dostoïevski. (p. 192)
On vient au monde sans l'avoir demandé, on va à la mort sans l'avoir choisi.
Pas la peine d'en rajouter.
J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans
Un gros meuble à tiroirs
Cache moins de secrets que mon triste cerveau
C'est une pyramide, un immense caveau
Qui contient plus de morts que la fosse commune
Je suis un cimetière abhorré de la lune
Où comme des remords se traînent de longs vers
Qui s'acharnent toujours sur mes morts les plus chers
Baudelaire, Les fleurs du mal (Spleen)
Ce mec est une énigme et le restera sûrement jusqu'à sa mort. Qui risque fort de ne pas se produire au fond d'un lit, dans une affreuse et paisible petite maison de retraite.
Bien trop mystérieux pour qu'on le connaisse vraiment.
Bien trop odieux pour qu'on l'apprécie réellement.
Bien trop intelligent pour qu'on le haïsse entièrement.
Bien trop courageux pour qu'on ne l'admire pas secrètement.
Bien trop féroce pour qu'on ose l'affronter directement.
( À propos du commandant Alexandre Gomez )
Je lui ai dit que je l’aimais.
Je ne mentais pas.
J’aimais deux femmes, d’un amour différent.
L’un était rassurant ; l’autre violent, effrayant.
L’un était vital ; l’autre létal.
J’aimais deux femmes.
L’une était une drogue douce ; l’autre une drogue dure.
L’une était ma vie.
L’autre serait ma mort.
Benoît inflige de grands coups de pied à la grille indifférente. Il pousse des cris de rage, qui s’échouent dans le néant. Qui se heurtent au couvercle étanche de son tombeau.
Il appuie son crâne sur le béton, ferme les yeux.
— Je suis tombé sur une malade mentale, putain ! gémit-il. Ça m’apprendra à tromper ma femme !…
Mais… est-ce qu’on a couché ensemble, au moins ? Je m’en souviens même plus ! En tout cas, si je l’ai sautée, ça n’a pas dû lui plaire ! Sinon, je me serais réveillé dans son pieu, pas dans sa cave !
Mieux qu’une armada de caméras de surveillance : une mamie postée derrière une fenêtre !
La nuit, tout est plus beau… La laideur intrinsèque du monde, la pourriture qu’exhalent ses entrailles, tout cela est mis entre parenthèses le temps d’un songe. Il n’y a que la solitude et les angoisses pour être exacerbées. Plus de bruits parasites, de mots inutiles, d’occupations futiles ou de déguisements dérisoires: face au noir, au silence, tout devient évident. Et intolérable. La nuit nous prépare à la mort, à doses homéopathiques; un granule tous les soirs.