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Critique de Zazette97


Publié aux USA en 1890, "La Séquestrée" est une nouvelle de l'écrivaine américaine Charlotte Perkins Gilman, auteure d'une dizaine de romans et essais et de plus de 180 nouvelles.

En attendant la fin des travaux de leur future demeure, un médecin et son épouse emménagent dans une maison de location en retrait de la ville. John, le mari, décide de les installer dans une ancienne chambre d'enfants, la seule pourvue de fenêtres grillagées.
Il faut dire que l'épouse souffre d'une maladie des nerfs pour laquelle le diagnostic de son mari préconise le repos et le renoncement à tout ce qui pourrait faire empirer son état. La fréquentation des amis est ainsi perçue comme dangereuse et toute activité intellectuelle, à commencer par l'écriture, se veut sévèrement proscrite.
Cloitrée dans cette chambre qui lui refuse le sommeil, l'épouse développe une obsession autour du papier peint jaune cramoisi qui orne les murs. Bientôt s'en dégagent des formes étranges dont elle est bien décidée à percer le secret.

J'avais entendu parler de cette nouvelle chez George et si j'étais bien décidée à me la procurer, je me demandais comment je réussirais à acquérir cet ouvrage qui n'est plus édité.
C'était sans compter sur le hasard d'une visite dans l'une de mes cavernes d'Ali-Baba (comme j'aime les bouquinistes !).
Voici une nouvelle plutôt courte mais pas moins représentative de la condition des femmes en cette fin de 19ème siècle ouverte à la modernité tant qu'elle n'incluait pas l'émancipation féminine.
La brillante postface de Diane de Margerie, très justement intitulée "Ecrire ou ramper", nous instruit de ce qu'étaient les moeurs de l'époque et des possibilités restreintes qui se voyaient offertes aux femmes.
Impossible pour elles de concilier carrière et mariage. La première option, pourvu qu'elle soit financièrement réalisable, engendrait une telle pression sociale qu'il fallait bien finir par céder à la seconde, avec les terribles conséquences que cela engendrait.
Réduites à leurs rôles d'épouse et de mère, astreintes à l'accomplissement de leurs devoirs conjugaux, nombreuses furent ces femmes à se soustraire de leur condition pour se réfugier dans ce qui fut qualifié de "neurasthénie".
Se heurtant à l'incompréhension des hommes, culpabilisant de ne pouvoir se satisfaire de ce que ceux-ci attendaient d'elles, elles se soumettaient toutefois à leur jugement, optant pour une passivité traduite en un repos forcé et espérant ainsi retrouver leur équilibre.

La paranoïa qu'engendre la vision de ce papier peint chez cette femme, séquestrée au sens matériel et psychique, trahit en réalité une révolte silencieuse présentée comme un combat intérieur au nom de toutes ces autres femmes qui comme elles rampent à même le sol, renoncent à l'imagination créatrice, subissent le manque de liberté inhérent à leur condition.
"La Séquestrée", débarrassée de son ton volontairement naïf, fait état d'une folie foncièrement lucide, réinterprétée et encadrée de façon pernicieuse par le genre masculin.
Cette nouvelle qui fait largement écho à la vie de l'auteure renvoie également, comme nous le rappelle la postface, aux destins de ses contemporaines Alice James (soeur d'Henry) et Edith Wharton qui avait également régulièrement recours aux visions fantomatiques (Le Miroir, Ethan Frome) pour permettre à ces héros d'accéder à une vérité que leur refuse le monde extérieur.
"La Séquestrée" ou l'histoire d'une femme et de bien d'autres qui se débattent dans l'existence et partent à la rencontre d'elles-mêmes.
Si tout comme moi vous avez la chance de croiser cet ouvrage délicatement subversif, ne le laissez surtout pas filer !
Lien : http://contesdefaits.blogspo..
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