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Critique de Noetique01


Un essai d'une qualité exceptionnelle. Gilson reprend ici l'histoire des rapports de l'être à l'existence et à l'essence, mais il ne se contente pas d'exposer des doctrines, même de manière critique : son travail mêle l'analyse historique et l'analyse conceptuelle d'une manière très intégrée, et permet ainsi d'apporter un point de vue très pertinent dans le débat de l'existentialisme qui se pose à son époque. On comprend que la philosophie médiévale a non seulement encore son mot à dire, mais que les concepts du débat se posent déjà en elle, même si les problèmes eux-mêmes ont du subir une longue constitution. La lecture des auteurs modernes est elle-même comprise par cette analyse conceptuolo-historique de l'être et de l'essence, de telle sorte que s'ouvre une perspective féconde et spéculativement différente de leurs concepts. L'histoire de l'être, de l'ousia, c'est une histoire de la dexistentialisation de l'être et de l'essence. L'être est posé dans la substance même chez Aristote de telle sorte que l'essence et l'acte d'existence ne soient qu'un, mais celui-là néglige par là la question propre de l'existence (on se contente, en effet, des essences, des êtres actés dans un monde où la question de l'origine ne se pose pas). La distinction entre l'acte d'existence et l'essence se retrouve chez Saint Thomas d'Aquin, qui doit poser la question de l'origine du monde. Seul Dieu confond ces deux actes (rapport nuancé à l'argument ontologique, insuffisant pour Thomas). Mais pour les autres êtres, la cause de l'existence est différence que l'actualisation de l'essence, et il ne suffit ainsi pas de poser celle-ci. Chez Scot et Avicenne, l'existence est un accident de l'essence (tandis que Saint Thomas pointait davantage une nécessité) : la critique de l'argument ontologique chez Kant (l'existence n'est pas un prédicable et n'appartient pas à l'essence prédicable) ne ferra in fine que reprendre ce principe. Chez Suárez, pourtant, une telle distinction entre l'acte d'existence et l'essence ne se pose plus, et Gilson montre bien son influence dans l'image qu'il a alors laissé de la scolastique : Suárez n'admet qu'une distinction formelle, mais, en voulant poser l'identité de ces deux actes, il a contribué à stériliser la pratique aux yeux des cartésiens, qui reprendront sur le point de la distinction Saint Thomas sans forcément s'en rendre compte, du fait de l'essentialisation de l'existence et, in fine, sa paradoxale neutralisation, par la mise hors-circuit de sa question propre. Les modernes neutraliseront l'existence d'une manière différente. C'est chez Wolff que l'on retrouve le premier usage "populaire" de la notion d'ontologie en tant que science de l'être dexistentialisé, indépendante de tout jugement existentiel, car il y traite une métaphysique des compossibles plutôt que de la substance au sens scolastique (Wolff essaye de trouver une essence suffisante à ce qu'il y a, dans une espèce de quête intégralement rationaliste, d'où la vision de la métaphysique comme étant la recherche de la raison suffisante, un tel rationalisme wolffien, qui se rattache au principe ontologique d'identité, ne pose déjà plus la question de l'existence dans l'ontologie elle-même). Chez Kant, qui connaissait davantage Wolff que la philosophie médiévale et qui ignorait donc certains de ses arguments, il se montre sans doute toute la neutralisation critique de l'existence, et chez Hegel, sa déduction, avant la réaction existentialiste (Kierkegaard). Bref, l'essence et l'existence, si elles composent l'acte d'être, ne se sont exclus qu'au nom d'une longue formation philosophique, et leur rapport n'a jamais été aussi simple que le laisse entendre la formule de Sartre, pour qui l'une précède l'autre. Dans un tel débat, Saint Thomas d'Aquin, de par sa position (l'un des seuls à avoir distinguer esse et essence de manière pertinente), est revenu au premier plan. C'est donc à bon droit que l'on dira que Gilson a participé au thomisme contemporain. Pourtant, l'idéalisme pointera une distinction complètement oubliée ici, et fondamentale pour sa défense : la distinction du phénomène et du fait, fait traduit par l'acte d'existence qu'en vertu de l'acte d'apparition.
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