Le type a levé ses yeux verts sur moi sans un mot ni même un sourire de bienvenue. Il avait une drôle de tête que se partageaient trois grands hommes : Leonid Brejnev pour les sourcils, Charles de Gaulle pour les paupières tombantes et Richard Nixon pour le nez épaté.
- Savez-vous à quoi on mesure l’intelligence d’un individu, selon Emmanuel Kant, monsieur Schullmann ? il m’a demandé en remontant ses lunettes sur son nez.
- Je sais, je sais j’ai bougonné , « à la quantité d’incertitudes qu’il est capable de supporter ».
Dans le feu de la guerre, je ne me suis jamais demandé si ce que je faisais était bien ou mal. La question ne se posait ni à moi ni à aucun de mes camarades. Nous étions l’élite de l’arme noire. Seul comptait le devoir de servir le Führer avec honneur et résolution. Tous, et moi autant que les autres, nous étions habitués par notre volonté de donner nos forces, fût-ce au prix de nos vies, pour défendre l’idéal national-socialiste et construire le troisième Reich. Un empire si fort et si pur qu’il pourrait durer mille ans, comme le disaient nos chefs. Si tu savais, Spencer, le nombre de mes frères d’armes qui m’ont murmuré « Heil Hitler ! » ou « Deutschland über alles ! » avec leur dernier filet de vois avant de s’éteindre sur un champ de bataille.