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Citations sur La nuit nous serons semblables à nous-mêmes (6)

Des nouvelles nous sont parvenues sur l’état de la mer :
Une tempête s’est produite loin, très loin de nos cotes.
Sur les plages, des membres dispersés, des débris d’hommes
Racontent plus qu’un grand naufrage
Et dénoncent plus qu’une furieuse injustice.
D’où venaient ces gens,
Ce ne sont pas ces quelques poutres, elles mêmes brisées, qui nous l’apprendront,
Ni ces coffrets épars sur le sable, hermétiquement fermés,
Et qu’aucune force humaine n’est venue à bout d’entrouvrir,
Si bien qu’il les a fallu enterrer avec leurs secrets…
La nuit, parfois, le long de la mer un cri s’élève,
Qui s’éteint quand nous nous approchons,
Comme si une âme souffrait là parmi nous,
Comme s’il y avait là un regard que nous ne parviendrons jamais à rencontrer…
Deux fois la mer a rejeté ces débris vers nous dans de grands spasmes,
Les vents se sont déployés comme des chevelures violentes.
Un grand naufrage s’est consommé dont nous ne saurons jamais rien,
Mais qui nous ouvre à des choses dont nous sommes inconsolables.
Depuis ce jour, nos hommes se sentent seuls,
Et une lourde tristesse, plane sur nos îles.

Paul Gadenne.
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Il fallait accepter que, le temps d'un voyage qui n'en était pas un, d'une aventure qui n'en était pas une, la vie vaille six mille dollars ici, dix mille là, au gré des règles et des barèmes qui nous ramenaient à l'état d'objets, de marchandises. Combien étaient-ils sur la barque qui nous a fait basculer dans l'eau? Ou plutôt, qui étaient-ils? D'où venaient-ils et pourquoi, comment, quels étaient leurs noms, leurs histoires, leurs visages? Un accident a fait trois victimes. Un incendie a fait treize victimes. Une explosion quarante sept. Une bataille deux cent soixante. Une avalanche, une coulée de boue, une éruption volcanique plusieurs centaines et le seul séisme de la terre de Jiaping, au Shaanxi, quelque 830000 morts en 1556. Mais ici, mais nous, rien.Personne ne sait rien , et personne ne saura jamais rien. Mariés ou célibataires. Seuls ou accompagnés de leur famille. Un enfant, deux enfants, quatre ou sept. Bien portants ou souffrant de maladies, et si oui, lesquelles. Riches, pauvres, misérables. Bons, braves, amicaux, désespérés, joyeux, fraternels, vindicatifs, amoureux, conspirationnistes, belliqueux, mélancoliques, artisans, syndicalistes, édiles, soldats, médecins, jongleurs, poètes, danseurs de corde, hommes, femmes, enfants, nourrissons. Rien. Rien mais des chiffres dans les journaux, des bulles médiatiques, des images aussi intenses que fugitives dépourvues de centre et de circonférence. Filaments grisâtres traînant au bas d'un nuage limbique, poussé par le vent.
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Je voudrais juste pouvoir me lever. Me mettre debout, et me retourner enfin pour faire face au paysage. Pour regarder de l’autre côté. Tendre vers demain.
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Au bout du chemin muletier, entre Les-Hauts et les premiers alpages, notre Zamti habitait une fermette tout droit sortie d’un conte pour enfants. C’était la première fois que nous quittions la ferme si longtemps. Très vite nous avons senti que nous prenions des forces là-haut. Mais ce qui changea en partie le cours de notre existence, c’est que Maman commença à nous raconter ses histoires. Sans télévision, sans radio et sans livres, la petite maison paraissait bien vide, le soir. Repoussant nos cauchemars, c’est à cette période qu’elle inventa ce monde parallèle qui nous habite encore aujourd’hui. Un univers bis où notre père est un personnage de fiction. Soir après soir, elle le faisait évoluer dans notre normalité. Ce n’est pas un jeu, disait-elle. C’est la réalité que tous les trois, ensemble, nous jetons à la face du destin. C’est un petit signe qu’on envoie à votre père, où qu’il soit vous comprenez ? Alors c’est ça, me suis-je dit sur le coup. Elle aussi elle pense qu’il va revenir. Que c’est obligé. Il va revenir en empruntant le petit chemin de terre. En plein midi cette fois, pour annuler la tragédie de son arrestation nocturne ? Et habillé le plus dignement possible. Il ouvrira la porte de la cuisine, et il ira s’asseoir à sa place, à droite de votre grand-père. Et sa place sera tiède. Sa chaise ne sera pas froide. Elle ne sera pas de marbre, vous comprenez ? Et il parlera, ou il se taira, peu importe. Dans les deux cas, nous l’écouterons. Nous tournerons nos chaises dans sa direction et nous l’écouterons. Nous verrons enfin les mêmes choses que lui.
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Parmi ceux qui attendaient avec nous, dans les dunes, certains en étaient à leur deuxième ou troisième tentative. Pourtant ça ne semblait pas les inquiéter outre mesure cette histoire de vingt minutes et de jauge de cent cinquante passagers ? C’est vrai, tu as raison, mais tout ça peut changer très vite, disait John. J’ai parlé avec le Cap, il est bien placé pour savoir combien les passeurs sont aux ordres. Ces mecs peuvent faire changer d’itinéraire à n’importe quel moment. Comme ils nous font changer de véhicule, tu vois bien. La seule chose dont je sois sûr, c’est que personne ne nous demandera notre avis. Méfiez-vous de tout le monde, avait dit et répété l’Oncle Virgile. Votre passage est prépayé. Quand vous arrivez là-bas vous appelez ce numéro, et ils encaissent. S’il y a le moindre problème, c’est moi que vous appelez. Je ne quitte pas mon téléphone tant que vous êtes sur les routes. Il pouvait y avoir les douanes, sur terre et sur mer. Les garde-côtes, l’armée même. Il y avait des rumeurs à propos d’avions aussi, d’hélicoptères qui rasaient le bord de mer pour faire peur. Il pouvait y avoir d’autres passeurs qui rachetaient les bateaux et les passagers allant avec. Des pirates même, tout pouvait arriver. Nous arriver. On parlait beaucoup de tout ça dans le camp, plutôt le soir, autour d’un café ou d’un brasero. Tout ça était vieux comme le monde. Les passeurs, les pirates, l’exil, le trafic, l’argent. Les gens faisaient probablement ça depuis des siècles. Aller d’île en île, d’une rive à l’autre, d’une frontière à l’autre sans demander leur autorisation ni aux États, ni aux gouvernements, ni à personne parce qu’ici, c’est chez eux. Transporter des choses dans un sens et dans l’autre. Transporter des gens. S’il y a bien un endroit de la mer, il y a des milliers de passe-droits. Les dieux, les héros, les rois, les conquérants, les capitaines, les soldats, les galériens, les corsaires, les croisés, les marchands, les pilotes, les pêcheurs, les plaisanciers… des populations entières ont vécu de cette manne infinie, de ce no man’s land sans bornes qu’est la mer. Une côte découpée, des criques à profusion, des plages inaccessibles, des archipels compliqués, des passes dangereuses, des vents violents. Tout, ici, dialoguait avec les éléments classiques de la tragédie. Depuis des siècles, les populations locales naviguent, commercent, prospèrent. Et les belles villas sur les hauteurs, les équipements sportifs, les rues bien entretenues, la Capitainerie ultramoderne du petit port, cette impression d’harmonie que l’on pouvait ressentir, de loin, toutes ces choses avaient une histoire autant qu’un prix. Un peu comme si la beauté masquait trop bien le danger. Comme s’il n’y avait pas d’écueils, de courants sournois, de hauts-fonds intraitables. Au fil des veillées, il se disait beaucoup de choses. Les on-dit, les potins, les calomnies se faisaient et se défaisaient d’eux-mêmes. Par contre, tout ce qui concernait les détails de la géographie locale, les relevés météorologiques, les histoires de marins et de pêcheurs, les erreurs de navigation, les naufrages célèbres, les sauvetages et tous leurs détails intéressaient au plus haut point la majorité d’entre nous. Chacun constituait ainsi une petite base de données. Noms de personnes fiables ou pas, âge des bateaux, réputation des équipages, des ports d’accueil, des ONG, des services de police. Chaque fragment de côte concentre son lot d’anecdotes, de spasmes et de souvenirs inconsolables. Certains écueils recèlent la narration d’un livre. Avec des navires maudits, des capitaines courageux, des hommes et des femmes, des enfants qui pleurent et des fantômes qui naissent. En face du port, à moins de deux kilomètres, il y avait ce que nos intermédiaires appelaient « l’archipel des légendes ». On pouvait soi-disant trouver des trucs sur internet. Mais le spécialiste de ce genre de choses au camp, c’était bel et bien Mauro. Il était avec nous depuis le passage de la frontière. Il avait dormi avec nous dans les bois et les ravins. On le remarquait facilement parce qu’il portait toujours son smartphone autour du cou, comme un bijou, une médaille. Mauro nous lut ce qu’il avait trouvé sur un site en anglais. L’archipel des légendes était un nom trompeur.
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Des dessins sur les portes des parties communes. Des tags sur les palissades et les vieux meubles. Des objets abandonnés qui rouillent à droite à gauche. Des cairns, gravés de noms propres, en haut de la colline. De nombreux Pérégrins étaient passés avant nous. D’autres arriveraient bientôt, qui étaient déjà en route, quelque part, à l’est de la côte. Bien que les informations de nos jours circulent à la vitesse de la lumière, il y a quand même un nombre extraordinaire de choses que l’on ne sait pas. Que personne ne sait. Y compris parmi nos Zôôôtes, comme disait Ida. Ils ne nous communiquaient aucune information. Restaient entre eux la plupart du temps. Lorsqu’un ordre leur parvenait, ils l’exécutaient sans broncher, comme de braves petits soldats. Et ils allaient où on leur disait d’aller. Un peu comme nous, en vérité. En théorie ils ne doivent pas se poser de questions. La méconnaissance qu’ils ont de nous tous et de chacun formant une muraille de protection. Ne rien savoir sur personne est moins risqué, surtout lorsque ce risque se nomme empathie ou compassion. Ne laisser naître aucun sentiment. Parler le moins possible, même s’ils ne peuvent s’empêcher de s’adresser aux femmes du camp. Aux plus jeunes de préférence, et plus encore à celles qu’ils trouvent jolies. Quelquefois ils parlent aux enfants accompagnés d’une mère célibataire ou d’une grande sœur. Les informations nous viennent donc majoritairement de l’extérieur et, un peu, de leur concupiscence.
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