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Citations sur Avec Bas Jan Ader (13)

Certains ont dit que c'était un suicide déguisé, que tu n'avais plus soif de rien, qu'on ne traversait pas l'Atlantique avec si peu de moyens, avec ce bateau inapproprié sans en attendre quelque chose. Personne ne sait, personne ne peut savoir, personne ne pourra savoir. Il faut faire avec, ce peut-être qui, je crois, était le peut-être que tu acceptais aussi : les choses n'étaient probablement pas tout à fait claires pour toit entre le fait de vivre, de mourir ou même d'être entre les deux ou, par moment, au-delà. (p166)
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Et puisque tu n'étais pas toujours optimiste, tu avais lu que se noyer n'était pas aussi impressionnant que ça. Une légère angoisse pendant quelques secondes, ensuite, c'est comme si on tombait de haut, de très haut, sur le duvet. Et puis plus rien, absolument rien.
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"Le déchaînement dans l'immensité, la solitude fragile, les journées de plus en plus seul, les nuits plus sombres, les vagues plus proches ne t'effrayaient pas plus que ça. ‹ Ça › étant un instrument de mesure dont toi seul connaissait la conversion en langues admissibles pour les autres. Tu parviendrais toujours à t'en sortir. Et puis à un moment donné, Il fallait faire. Dans l'eau, dans le vide, peu importe mais se jeter sinon on finirait à s'habituer à tout de soi-même."
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Tu te montres, te démontres à toi-même et aux autres : la consistance et l'étendue de ta pensée dispersée, maladroite, émouvante, instable. (p126)
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Tomber, s'écrouler sans se rattraper. Disparaître de l'endroit où l'on est, de la surface que l'on occupe pour se retrouver plus bas, invisible presque, car mélangé avec le sol. (p100)
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Tu voudrais oser ce que les téméraires évitent. C'est que le timide voit tout très grand, les montagnes ont toujours la taille d'une montagne alors que l'audacieux sait distinguer monts, vallons, collines, montagnes, pics et les plus hauts sommets qui seuls l'intéressent. Dans cette hiérarchie, l'audacieux, habitué, sait bien ce à quoi il peut s'atteler alors que le timide se lance, oublieux, mal renseigné, mais il se lance. Et en se lançant, il a souvent le rouge aux joues et un grand rire pour se donner du courage ou pour rire de lui-même, de ce dont il se sentait incapable car il n'a pas envisagé un instant d'être là. Des fiertés sottes et secrètes qui rendent certaines fragilités royales.
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3,81 mètres pour ton bateau Ocean Wave ce n’est pas bien grand. Si tu ne peux pas l’allonger, tu as cependant pris plusieurs semaines pour le modifier, le rendre plus apte à traverser. Tu veux bien croire aux miracles, les frôler ou même les susciter mais tu n’es pas complètement fou. Tu l’as adapté pour le rendre le moins inapproprié possible, seulement un peu moins car les chiens ne feront de toute façon pas des chats. Tu le renforces, le surélèves afin d’en faire une coque de noix plus joufflue, plus stable pour les vagues et les vents qui t’attendent.
Tu n’as pas trouvé tout seul les meilleurs solutions pour stocker les litres d’eau et les kilos de nourriture, ce que la conception d’Ocean Wave ne permettait évidemment pas, la croisière de poche ne laissant de la place que pour un ou deux sandwiches, une thermos et un kilo de clémentines. Tu as rencontré Michael, un homme sans âge, peut-être quarante, peut-être cinquante ou soixante, sûrement soixante ans compte tenu de tout ce qu’il semblait avoir traversé comme routes, pays, qui passait son temps à transformer des camionnettes utilitaires en camping car pour des jeunes gens aux cheveux hirsutes plus préoccupés que toi par la nourriture macrobiotique et l’envie de faire beaucoup d’enfants. Un génie taiseux du bois, de l’acier et surtout du rangement qui semblait capable de tout rendre carré, ou au moins empilable et avec des angles, savait comment exploiter la moindre poche de vide, même étroite, avec une forme incongrue où tu ne voyais pas bien ce que tu pourrais ranger. Lui il voyait, il savait la place que prend une serviette roulée, un matelas de camping et des boîtes de conserve. Il devait caser au sens propre comme au figuré, dans les quelques mètres carrés de ton Guppy 13, deux mois de nourriture, trois mois d’eau, un réchaud et deux recharges en gaz, des couverts pliables, trois pantalons, deux pulls dont un à col roulé, une veste de quart, un gilet de sauvetage, six paires de chaussettes, six slips, une brosse à dents, deux tubes de dentifrice, un savon, une canne à pêche, une épuisette, une petite caméra, des lunettes de soleil, un sextant, un exemplaire de la Phénoménologie de l’esprit, trois crayons, un carnet, un matelas de camping, un harnais, deux serviettes, un coussin et de quoi réparer le bateau pour une petite avarie.
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Tu as dit à tout le monde que la traversée de l’Atlantique durerait soixante jours. Ça pourrait évidemment être cinquante-cinq ou soixante-treize mais c’est soixante que tu as sorti de ton chapeau, pour le plaisir du chiffre rond, qui pourrait être biblique ou un arrangement avec la Bible pour te faire marcher sur l’eau mais qui ne l’est pas. Soixante parce qu’il faut dire les choses nettement, pour que tout le monde comprenne. Brièvement même. D’ailleurs maintenant tu parles de seulement deux mois.
Tout est prêt depuis trois jours : le bateau est en ordre, le reste aussi ; le reste est une catégorie un peu molle et floue qui à la fois englobe généreusement le matériel, les préparatifs, toi, et qui ferme aussi les yeux, discrètement, sur les mouvements de l’âme, les tiens, ceux de Sue, des autres. Tu n’attends que la bonne couleur du ciel et le bon écartement des nuages, les signes encourageants du baromètre, un coefficient de marée idéal, le vol prometteur de quelques oies en formation, la disparition de la trace laissée par un avion dans le ciel, des mouettes enthousiastes pour lever l’ancre. Tu as eu le temps de penser à ce que tu diras à Sue et aux quelques amis, camarades venus assister au grand départ. Plutôt, à ce que tu ne diras pas. Tu ne veux pas dramatiser ton départ. Deux mois. Certes sur l’Atlantique. C’est vrai, sur un petit bateau. Et seul. Quatre choses donc. Ce n’est pas rien mais aucun de ces éléments, isolés ou ajoutés, n’est une raison suffisante pour rendre cette petite cérémonie solennelle. Il n’y aura donc ni mots graves ni esprit de sérieux, pas question d’être le mime raté de soi-même à vouloir fabriquer des moments importants. Même sans costume ni ruban, tu vois assez bien comment avec tes mots, gonflés artificiellement par une émotion que la perspective de deux mois peut créer et le petit roulis de la mer, tu pourrais sortir quelques idées définitives, des phrases trop grandes pour tout le monde. Ce serait un peu gênant, ridicule ; ça finirait même par devenir vaguement inquiétant pour ceux qui restent, qui pourraient penser que tu veux faire passer un message. Tu sais aussi que tu ne veux pas parler trop brièvement, ni trop longuement. Ne pas faire une blague ni chanter. Tu as prévu un petit discours accroché au mât comme si tu l’étais à la terre. Tu regarderas beaucoup Sue, en souriant, en souriant beaucoup, et tu alterneras ce qu’il reste de temps et de sourire sur les visages de John, Fred, Emma, Michael et Alberta. Tu seras concentré car la navigation est une affaire sérieuse. Ce sera banal car tu es déjà concentré.
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Tu étais seul, tu as toujours été seul. Ca n’a jamais été d’une solitude déprimée et déprimante mais ce fut une solitude qui je suppose s’est imposée par la force des choses, la mort d’un père, la sortie de la guerre, une adolescence rebelle, bref une solitude orgueilleuse. Il y a une série de photographies de toi où l’on te voit sur une chaise, derrière une table, au coin du feu. Tu mimes les grandes manières pour le photographe à qui tu as donné des instructions pour attraper ces grandes manières, celles auxquelles s’adonnent les dandys, les vampires, ou plutôt celles qui les font : des dîners à de grandes tables rectangulaires, sans personne ni rien d’autre qu’un bol de soupe de potimarron, un verre de vin et quelques fromages patiemment affinés. Sobre, distancié, le menton relevé, un port altier donc. Il y a de l’ironie mais entre l’ironie que tu y mets et le fond de ton caractère la distance est très courte. Tu n’es pas snob mais tu as toujours été isolé, même avec les autres autour et avec toi. Tu ne sais pas tout à fait comment t’y prendre pour avoir l’air commun ou, au contraire, hors des limites.
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Tu appelles un peu mais pas vraiment. C'est moins pour appeler que pour bouger les lèvres et arracher ton esprit aux intempéries. Tu n'attends ni une main miraculeuse qui fasse taire le vent et les creux de la mer, ni la proximité d'un navire où tu pourrais être recueilli. Tu appelles pour retrouver en toi, en dessous, enfouis par les années, une impression, un souvenir, un écho.
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