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Connaissez-vous ou avez vous déjà entendu parler de Bas Jan Ader ? Moi je n'en avais jamais entendu parlé mais les personnalités un peu hors norme m'intéressent car j'aime découvrir ou du moins tenter de découvrir ce qui les anime, ce qui les pousse à se lancer des défis, parfois dangereux, et c'est le cas pour Bas Jan Ader.

Thomas Giraud, dont c'est le quatrième ouvrage, s'est posé les mêmes questions et explorer les pistes sur les motivations de ce performiste-photographe néerlandais né en 1942 et qui disparaîtra, en 1975 entre Cap Code et l'Irlande, à bord d'une petite embarcation, un Guppy l'Ocean Warve, nullement adapté pour ce genre de traversée. Ayant très peu d'éléments à sa disposition pour répondre à toutes les questions, il choisit de s'adresser à Bas lui-même en lui dressant ce qui lui semble être son portrait et ses hypothèses sur ses motivations. Se lancer des défis, mettre sa vie en danger et finalement la perdre à 33 ans, seul, dans l'immensité d'un océan, sachant dès le départ les risques encourus : performance, disparition volontaire ou suicide ?

Dans une démarche très intime, avec une économie de moyens Bastiaan (Bas) Jan Ader va se lancer dans des performances le plus souvent centrées sur la chute, filmées par Sue Anderson, sa compagne, des films en noir et blanc, des mini-scènes à la manière de Buster Keaton ou Charlie Chaplin, des séquences muettes où on le voit tomber, impassible, avec un vélo dans un canal ou chuter d'un toit, assis sur une chaise ou observer la manière dont retombent des vêtements lancés sur le fait d'une maison.

"Tomber, s'écrouler sans se rattraper. Disparaître de l'endroit où l'on est, de la surface que l'on occupe pour se retrouver plus bas, invisible presque, car mélangé avec le sol. (p100)"

Et pour ce faire, remonter à la naissance, à l'absence de ce père auréolé d'une gloire posthume, dont il porte le même prénom et qu'il a réduit à Bas, car peut-être un prénom trop lourd à porter, qui s'écroula lui aussi mais pendant la guerre sous les balles ennemies pour avoir aider les opprimés, mettre en parallèle la chute de celui-ci et tenter d'éprouver la sensation, de ressentir ce qu'elle imprime dans le corps, dans l'esprit, tenter de retrouver les sensations de ce que son père a dû ressentir au moment où ses jambes ont fléchi, recherche personnelle et intime pour le rejoindre dans l'ultime dernière pensée, sensation, pensée ? Les mots sont inutiles, seulement des images.

"Tu te montres, te démontres à toi-même et aux autres : la consistance et l'étendue de ta pensée dispersée, maladroite, émouvante, instable. (p126)"

Dans ce huis-clos entre l'auteur et son sujet, cette intimité toute en sensibilité et pudeur, Thomas Giraud développe ses arguments et tente d'analyser les pellicules en imaginant la personnalité de cet homme à la beauté fulgurante et fragile, qui n'hésite pas à se filmer pendant deux minutes en pleurs (j'ai approfondi mes connaissances sur internet) en montrant la fragilité sans pudeur d'un homme, de l'effet de la tristesse sur son visage.

J'ai beaucoup aimé l'ambiance de cet essai, la manière de restituer la démarche d'un artiste, d'en tracer les contours sans pour autant apporter des réponses, simplement des suppositions, l'écriture approchant le concept de l'artiste, sa sobriété, sa pudeur, lui posant parfois des questions ou lui fournissant également des explications puisque celui-ci n'a laissé aucun autre message que ces scénettes muettes qui pourraient sembler comiques pour qui ne connaît rien de son auteur-acteur.

"Certains ont dit que c'était un suicide déguisé, que tu n'avais plus soif de rien, qu'on ne traversait pas l'Atlantique avec si peu de moyens, avec ce bateau inapproprié sans en attendre quelque chose. Personne ne sait, personne ne peut savoir, personne ne pourra savoir. Il faut faire avec, ce peut-être qui, je crois, était le peut-être que tu acceptais aussi : les choses n'étaient probablement pas tout à fait claires pour toit entre le fait de vivre, de mourir ou même d'être entre les deux ou, par moment, au-delà. (p166)"

J'ai trouvé le ton particulièrement adapté à la personnalité de l'artiste, une intimité comme si Thomas Giraud voulait conserver la discrétion de l'homme, son mystère, sa fragilité mais en l'exposant afin de lui rendre hommage et sens. L'art de la chute sous ses différentes formes, aura été une recherche permanente de Bas Jan Ader cherchant les implications qu'elles peuvent avoir sous ses différentes formes : humaines, objets, esprits et à la lecture, ouvrant le lecteur et le spectateur sur la démarche de certains artistes, leurs quêtes et investigations qui peuvent nous paraître étranges, dérangeantes et pourtant révélatrices parfois d'une souffrance, d'une quête.

Une découverte à la fois d'un homme, Bas Jan Ader, mais également d'un auteur, Thomas Giraud dont j'ai beaucoup aimé la manière feutrée et intime de mettre en lumière un homme habité comme ses films de noir et blanc, de zones visibles et obscures, l'auteur se faisant un révélateur discret, au plus près avec le "je" et le "tu", mais en lui conservant toute sa part de mystère.

J'ai beaucoup aimé.
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Pour sortir des autoroutes fluviales de la rentrée avec les même titres toutes presses confondues (Amélie Flonflon, Christine Angoisse, etc.), prenez le large avec ce beau portrait (je préfère ce terme au froid "exofiction") de l'artiste Bas Jan Ader, spécialiste des chutes. Un texte signé Thomas Giraud (aux jolies éditions de la Contre-Allée), tout en retenue, très juste (même si, parfois, j'aurais aimé qu'il se relâche un peu) et qui se focalise par moment sur la dernière performance de l'artiste - traverser l'océan dans une coque de noix (un Guppy) accompagné d'un livre de Hegel et d'une chanson des Beatles en tête - mais qui élargi aussi le propos à sa famille et sa quête artistique de dépassement de soi par l'échec et la chute. On se prend facilement d'affection pour cet homme au destin pittoresque et on se laisse bercer par les mots comme résonne en nous la mélancolique chanson Song to the Siren de Tim Buckley dans son interprétation par le "groupe" This Mortal Coil (en exergue du roman) - La tempête fut calme, bien que mortelle.
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Je ne connaissais pas cet artiste disparu en mer entre Cap Cod et l'Irlande. Thomas Giraud en fait ici un être sensible, hanté par la disparition du père. Un père peu connu dont il retiendra l'héroïsme et la chute. Deux choses qui vont construire son parcours d'homme et surtout d'artiste. Celui que ses amis appellent « le pitre mélancolique » fait de sa blessure un art conceptuel. Dans un récit intime, centré sur les émotions de Bas, j'ai peiné à retrouver les traces réelles de l'artiste. Et c'est peut-être dommage. Car l'oeuvre originale et peu connue de Bas Jan Ader aurait pu être davantage mise en valeur. Toutefois, je comprends le souhait de l'auteur de montrer le côté insaisissable d'un artiste. Et puis, un roman est une porte ouverte vers la connaissance. Libre au lecteur de pousser la porte et de chercher davantage d'informations sur son art.
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De la chute à la disparition, de l'opacité à soi à la fugace inscription au monde. Dans son écriture sensible - précise et pleine d'échos - Thomas Giraud parvient à faire apparaître Bas Jan Ader, artiste performer, disparu en mer lors de l'une des performances en quête du miraculeux, d'un de ces instants supérieurs de conscience dont Avec Bas Jan Ader donne une réell
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Je n'ai vraiment mais vraiment pas aimé ...

Je crois que l'énonciation à la deuxième personne, la description de photos ou d'archives vidéos m'ont parues distantes et sans chair.
Ce livre n'était pas pour moi et ne m'a pas non plus donné envie de découvrir les travaux de cet artiste...
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Dans ce nouveau récit, Thomas Giraud ressuscite la figure originale de Bas Jan Ader, un artiste conceptuel hollandais au destin tragique, nous invitant à l'accompagner (le titre du roman souligne, avec modestie, ce projet : « Avec Bas Jan Ader…) au fil de son dernier voyage. In surch of the Miraculous…, c'est ainsi que Bas Jan Ader avait intitulé son ultime performance, dont la seconde partie - après une traversée nocturne de Los Angeles à pied (One Night in Los Angeles) et avant, pour clore le triptyque, un trajet prévu de Felmouth en Angleterre jusqu'au Groninger Museum aux Pays-Bas, en ferry et en autobus – devait le mener sur l'Atlantique, à bord d'une coquille de noix, entre Cap Cod et les côtes irlandaises. Nous voici embarqués sur ce voilier minuscule, avec lui et l'auteur, qui s'adresse directement à son personnage en utilisant régulièrement le « tu » de la seconde personne. Dès le départ, l'aventure semble insensée, vouée à l'échec, Thomas Giraud interrogeant avec un peu de cruauté la pertinence du projet -« ce miracle que tu prétends chercher on peut se demander ce que tu en attendais vraiment et ce qu'il en resterait » -, quand il ne va pas, de manière franchement drolatique, jusqu'à imaginer que notre artiste ait pu concevoir l'idée de tricher, en faisant embarquer au large son embarcation sur un cargo, qui l'aurait déposée à nouveau sur les flots à quelques encablures de sa destination irlandaise… Mais le voyage donne surtout l'occasion d'évoquer la vie de Bas Jan Ader, marquée par le « fantôme » envahissant d'un père, fusillé par les Allemands vers la fin de la guerre pour avoir sauvé des Juifs, et la dévotion excessive d'une mère, confite dans le souvenir de son mari héroïque, la vie d'un adolescent solitaire – « Tu étais seul, tu as toujours été seul » - puis d'un adulte sensible et rêveur, hésitant lors de ses études entre la philosophie et les Beaux-Arts. En choisissant finalement cette dernière voie, le jeune artiste s'empresse pourtant de s'écarter des sentiers battus, utilisant la gomme comme le principal outil de ses oeuvres plastiques, avant d'imaginer les performances les plus singulières… Si Thomas Giraud évoque ces petits films où on le voit pleurer de multiples manières ou ce All my Clothes, constitué par l'étalage, dans un ordre complètement arbitraire, de tous ses vêtements sur un toit, il s'attarde essentiellement sur la série des « chutes », reconstituant par l'écriture – et c'est bien là, miracle des mots et vrai talent de l'écrivain, une prouesse, de donner à sa prose tant de qualité visuelle ! – ces scènes filmées où notre héros s'évertue à tomber, ici d'une branche dans un ruisseau, là à bicyclette dans un canal d'Amsterdam, s'interrogeant sur le sens de ces performances, proposant, en laissant la question ouverte, différentes interprétations de cette obsession de la « chute ». le miracle, certes, n'aura pas eu lieu, mais Thomas Giraud nous réserve une énigme finale (évidemment, on ne vous en dira pas plus !) et, comme il l'a fait magnifiquement dans ses précédents textes pour Elisée Reclus ou Victor Considerant, aura tendu à Jan Bas Ader le plus beau des miroirs poétiques, capable de rendre à ses rêves toute la puissance heureuse de l'utopie ! Célébrant chez son personnage cet art de « fabriquer des moments de contemplation » et sa capacité de « séducteur… avec cette façon qu'ont les beaux jeunes hommes intranquilles et timides », on ne sait plus de qui il parle, finalement… Jan, ou Thomas ?
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Coup de coeur !

Artiste néerlandais, Bas Jan Ader porte le même prénom que son père. Qu'il n'a jamais connu. Ou alors à travers les souvenirs des autres. Les récits des autres. Héros de guerre. Sacrifié. Mort pour la liberté.

Il entre aux Beaux-Arts, Bas.
Il y entre et s'appliquera à en sortir, à coups de gomme. de larmes. de chutes.

Il disparaît en mer. Ne meurt pas. Disparaît. Lui qui avait décidé de traverser l'Atlantique sur une coque de noix. Acte d'héroïsme à sa façon. Comme pour rattraper le père. Ne pas le dépasser, le rattraper, être son fils.

Thomas Giraud le tutoie.
On entre dans l'intimité et de l'auteur, et de l'artiste, par ce choix de pronom. Mis à nus tous les deux, dans leur sensibilité. Leur poésie.
Car ce livre n'en manque pas, loin de là !
Avec une belle musicalité, les mots de Thomas Giraud nous offre le portrait de cet être cabossé, oublié, Bas Jan Ader, qui chute et se relève, mais décidément y laisse de lui, à chaque fois, un peu, beaucoup...

Quel hommage !
Quel livre !

Merci pour cette merveilleuse découverte.

Lu dans le cadre du #prixsagan
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L'auteur a l'art maitrisé de l'écriture. Avec poésie, délicatesse, et la précision qui résulte d'une recherche minutieuse, il nous plonge dans l'intime parcours assez surréaliste de cet homme, Bas Jan Ader, personnage anticonformiste, idéaliste, qui cherche, conceptualise, dessine, scénographie intérieurement et teste sur le terrain ses expériences, dont des chutes volontaires, filmées ou photographiées. Pour analyser le processus de la chute d'un arbre, donc peut-être revivre celle de son père mortellement touché par les balles d'un fusil mitrailleur nazi en 1944, il la reproduit. Est-ce de ce père trop tôt disparu dont il a construit l'image immatérielle grâce au portrait qu'en avait fait sa mère, qu'il multiplie ainsi différents scénarios de chutes sur le sol, ou bien dans l'eau, ou bien plus insensé, à partir du toit de sa maison ? Né en 1942 en Hollande, à l'âge de 33 ans il décide en 1975 de traverser l'Atlantique de Cape Cod vers Falmouth en Irlande sur un bateau inapproprié pour une telle traversée, avait-il lui-même affirmé. Une embarcation de nain : une coque de noix de 3.81mètres de long, avec juste 2 petits hublots de chaque côté. Il est impossible d'y dormir allongé, juste recroquevillé en chien de fusil et ne prend qu'un seul livre : Hegel. Une mise en danger évaluée ; un défi funeste ?
Thomas Giraud confie ce récit au lecteur sous la forme d'un témoignage en utilisant le « tu », comme s'il s'agissait d'un hommage rendu à un ami, à un frère. Ainsi, les faiblesses, les doutes, les espoirs vains, les projets insensés, entremêlés aux confessions-souvenirs de son épouse, son frère ou bien d'autres témoins oculaires, nous sont transmis avec pudeur, bienveillance et élégance. du grand art.
Dans les eaux d'Irlande, son bateau a été retrouvé vide de tout humain, ses papiers d'identité encore en place. Avec délicatesse, nous dirons : « disparu en mer ».

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Olympien, intrinsèque, ce texte-essai est un hommage à l'oeuvre macrocosme, à l'homme-chute : Baastien Bas Jan Ader mystérieusement disparu en 1975. L'immensité fait foi. Thomas Giraud interpelle subrepticement Bas Jan Ader par un tu tout en symbole, sans jugement aucun. Juste l'importance essentialiste, litanie et oraison.
Dans les profondeurs allouées, les maillages, les retournements, il incite au dépassement de la gestuelle. Thomas Giraud cherche à comprendre le triptyque de Bas Jan Ader. Lui, qui aimait chuter, l'ange volant frôlant la terre. L'eau matrice, prouver à soi-même que tout peut se rassembler de nouveau. Fragile et tenace, blessé et vaillant, manichéen sublime.
« Tu as frissonné en sentant que l'océan n'était peut-être pas seul à ce moment-là, que le fantôme aussi t'avait soulevé, aidé un peu. »
Son père écueil, ressac, fusillé en 1944, serait-il de la quête ? le surpassement ? La chute libre ?
Les croisements sont initiatiques. Les voyages artistiques jusqu'au boutisme des épreuves.
« Des fiertés sottes et secrètes qui rendent certaines fragilités royales. Ça devait arriver et tu attendais. Tu t'entraînes un peu n'importe comment au départ avec des intuitions de funambule. »
Cet hymne est l'épiphanie, la reconquête des forces altières. Un chant à tu, la gloire à l'artiste, des photographies que Sue (sa femme) accroche au fronton des horizons.
« Tu n'attends ni une main miraculeuse qui fasse taire le vent et les creux de la mer, ni la proximité d'un navire où tu pourrais être recueilli. »
« Tu appelles pour retrouver en toi, en dessous, enfouis par les années, une impression, un souvenir, un écho. »
Cynique à l'instar de Diogène, libre, immensément libre, possédé par le père tombé à terre, Bas Jan Ader est « Jonathan Livingston le goéland. »
Thomas Giraud relève les barrières. Il pourvoit à l'artiste, à l'homme. Il rassemble l'épars, les déambulations marquantes, un être blessé dans sa chair. L'aérien des chutes, les tracés atypiques et leurs significations. Rien n'est hasard. Ici, Thomas Giraud devine le crucial de se qui doit être prononcé à tu et à je sans fausse route aucune. Ici, tout est alliance et génie. Ce récit-mémoriel est le piédestal littéraire. Humble, précieux et grave. Prenez soin de la dernière page où Bas Jan Ader est de face ou de dos , on ne sait pas. Lisez alors les cheminements de ce grand livre. le souffle reprend et c'est bien.
« Que fais-tu de ces brides, de ces bouts de souvenirs anciens qui ne sont pas les tiens, de cette somme qui fait une histoire dont tout le monde parle, qui prend beaucoup de place ? Tu sens bien que tu ne peux pas faire sans. »
Dans la collection sentinelle : "une attention particulière aux histoires et parcours singuliers de gens, lieux, mouvements sociaux et culturels". "Avec Bas Jan Ader" est publié par les majeures Éditions La Contre Allée.

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Lorsque la traversée en forme de performance artistique devient disparition et mystère symbolique, éclairant toute une vie brève d'un soleil spéculatif et singulier – grâce à une science spécifique et rare des interstices psycho-biographiques.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/09/26/note-de-lecture-avec-bas-jan-ader-thomas-giraud/

Bastiaan Johan Christiaan Ader (1942 – 1975 ?), plus connu sous son nom diminutif de Bas Jan Ader, fut le fils d'un pasteur néerlandais résistant authentique et (pas assez in fine) discret, brutalement exécuté par l'armée allemande déjà presque en retraite, en 1944, le fils aussi, aimant mais quelque peu perdu, déjà, d'une mère qui n'a pas été autorisée à reprendre la charge de son pasteur défunt de mari, et qui en conséquence, rame un peu. Il fut encore l'adolescent difficile (« pas intenable, pas un vaurien ni un brigand mais d'après ce qui se dit un enfant un peu pénible »), le coureur des bois voisins, avec leur échelle réduite et leurs trésors potentiels pour l'imagination, puis celui qui, à dix-huit ans, s'échappe doucement pour rejoindre l'école des beaux-arts à Amsterdam. Mais le voulait-il, être un artiste ?

De l'enfance d'un géographe anarchiste (« Élisée – Avant les ruisseaux et les montagnes », 2016) au parcours paradoxal et lumineux du « plus célèbre des musiciens inconnus » (« La ballade silencieuse de Jackson C. Frank », 2018), de l'échec d'une utopie franco-texane de 1860 (« le bruit des tuiles », 2019) à, maintenant (en septembre 2021, toujours dans la collection La Sentinelle des éditions La Contre-Allée), le parcours-éclair, oscillant entre légèreté voulue et gravité acquise, d'un artiste néerlandais, Thomas Giraud excelle à spéculer autour des non-dits que sécrètent, discrètement, les interstices de vies singulières et de projets hors normes, intimes ou politiques. Comme auparavant, il parvient aussi à nouveau à déjouer les attentes instinctives de classification de son texte : multiforme, voire protéiforme, pour décoder une existence devenue performance artistique d'un type inconnu, pour rendre compte de photographies à Los Angeles, de chutes comiques et tragiques à saisir, comme de cette ultime traversée atlantique, et d'un mystère intime à préserver, il ne sera ni récit de voile accidentée ou accidentelle (même si, par moments, la douce inconscience mise en scène dans le beau « Nord-Nord-Ouest« de Sylvain Coher n'est pas si loin), ni réflexion en action sur le comique et le tragique de performance (quand bien même Buster Keaton et Monsieur Hulot seront convoqués, que l'on pourrait sentir Pierre Richard présent en arrière-plan, et que le Pierre Senges des énumérations comme des tartes à la crème et des naufrages n'est peut-être pas si loin non plus). Il ne sera pas non plus approche d'une phénoménologie de l'esprit (ou alors plus proche dans ce cas des rencontres fantomatiques avec des « philosophes allemands » orchestrées par Cedric Klapisch pour son Romain Duris de la trilogie de « L'auberge espagnole« ). Lorsque d'une certaine manière, comme chez le Roland Barthes de « La préparation du roman« , la mise en place vaut déjà performance, qu'il ne s'agit pas ou plus de disséquer, mais de laisser vivre sa poésie proprement tragique, l'art rare de l'auteur est bien de permettre lentement à la spéculation de céder la place au mystère… y compris à celui, symbolique ou non, de cet esquif retrouvé « debout » ou presque, puis disparaissant à son tour subrepticement de son port de récupération.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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