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Critique de YvesParis


Stephen Smith avait obtenu avec "Négrologie", couronné par le prix France Télévision 2004, un succès inespéré pour un essai traitant de l'Afrique. Il avait aussi suscité la polémique en accusant les Africains de rechercher à s'exonérer d'un échec collectif dont ils seraient, selon lui, seuls responsables. le reproche lui avait été fait d'ignorer la part de la France dans les maux du continent noir. En réponse à cette critique, le journaliste du Monde a retrouvé Antoine Glaser, directeur de la Lettre du Continent - avec lequel il avait déjà écrit "Ces messieurs Afrique" - pour évoquer cette Françafrique dont l'association Survie hier présidée par François-Xavier Verschave s'est fait une spécialité du procès.

Leur ouvrage, divisé en trois parties, suit un plan chronologique. La première est consacrée à la Guerre froide, la dernière à l'après 11-septembre. Entre les deux, 1994 constitue une date charnière : la dévaluation du franc CFA en janvier, les obsèques du "Vieux" Houphouët-Boigny en février et le génocide rwandais au printemps sonnent le glas de cette "Françafrique" née au lendemain des indépendances. La période qui se clôt alors ne fut pas glorieuse pour la France. Stephen Smith le reconnaît volontiers, prenant à contre-pied ceux qui l'accusaient de néo-colonialisme voire de négationnisme. de 1945 à 1989, sans que les indépendances de 1960 n'y aient rien changé, la France a gouverné ses ancienne colonies. Elle en tirait un prestige politique, profitant de sa clientèle africaine, à l'Onu notamment, pour maintenir son "rang". Elle en tirait un avantage économique, réalisant en Afrique ses excédents commerciaux les plus importants. La fin justifiait les moyens et l'aide généreusement distribuée aux régimes amis visait moins à aider l'Afrique à sortir du sous-développement qu'elle ne constituait un "loyer géopolitique" (p. 55). Pour gérer ce système un "Etat franco-français" s'était mis en place, gouverné directement par l'Elysée. Sans ignorer ses coups bas ni ses "barbouzeries" voire ses crimes, les auteurs refusent de résumer la politique africaine de la France aux seuls réseaux Foccart, livrant de l'historique "monsieur Afrique" une image plus subtile que celle d'un ""la Foque" nourrissant dans un cabinet noir de la République d'inavouables desseins pour l'Afrique" (p. 59).

Avec la fin de la guerre froide, tout change. Les régimes autoritaires soutenus par la France perdent leur prétexte géopolitique. Alors que l'Afrique du Sud tourne la page de l'apartheid, l'Afrique rêve de démocratie, de gouvernance, de développement. D'autres puissances internationales apparaissent : les Etats-Unis, la Chine ... Paralysée par une double cohabitation, la France tarde à réagir, sinon en retirant ses coopérants, en fermant ses bases et en amputant son aide. En soutenant Mobtu au Zaïre ou Eyadéma au Togo, elle "s'est enfermée dans la vaine défense du statu quo" (p. 133). Tandis que les générations des indépendances quittent la scène, les nouveaux leaders, en France comme en Afrique, ne font plus de la relation franco-africaine une priorité. Côté français, on réalise que l'Afrique ne pèse guère dans le commerce mondial et que sa situation géopolitique s'est démonétisée depuis la fin de la guerre froide. Si, vu de Paris, l'Afrique mérite encore qu'on s'y intéresse, c'est tout au plus pour la pression migratoire qu'elle exerce, les risques sanitaires qu'elle suscite ou la mauvaise conscience humanitaire qu'elle provoque.

Dans ces conditions, la France, telle l'âne de Buridan, est écartelée : partir ou rester ? Sous le gouvernement Jospin, la non-ingérence était censée se combiner à la non-indifférence. La France laissait faire à Bangui ou à Brazzaville ; mais, l'aide publique au développement (APD) ne suivait pas. Avec Dominique de Villepin, le volontarisme semble de retour. La France intervient en Côte d'Ivoire ; elle promet une augmentation substantielle de l'APD. Mais quoi qu'elle fasse, la France s'attire des critiques en Afrique : "Paris intervient, et on dénonce son "ingérence", voire son "néocolonialisme" ; Paris s'abstient, et on lui reproche son "indifférence", on lui rappelle sa "responsabilité historique" (p. 9). Comment sortir du gué ? Par une "politique française en Afrique" (p. 268) qui se substituerait à la politique africaine de la France, plaident les auteurs. Reste à espérer qu'ils consacrent un troisième ouvrage à sa définition.
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