AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de VincentGloeckler


« Un phénomène particulier se produit dans un coeur désaimé : les cellules du muscle cardiaque se figent, la contractilité du ventricule gauche ne fonctionne plus. La base du coeur continue pourtant à pomper, féroce, pendant que sa pointe reste immobile, gonfle. Un coeur désaimé est une force interdite, une naine brune, une étoile qui n'a pas eu lieu. Si on ne donne pas assez de place aux coeurs forts, ils risquent de partir en l'air, de nous faire exploser.
Que ferait-on pour arriver à toucher l'autre – on se jette dans l'inconnu, on entre dans son système solaire. On dévie, on croise ce chemin parallèle rien que pour une caresse imperceptible – celle de l'air sur la peau d'une étoile, un salut de proximité. » ( pp. 162-163)
La narratrice de ce récit, en voyage à Minsk en juillet 2019, reçoit un appel téléphonique de son mari, resté à Pau dans l'appartement du couple, un mari qui lui annonce qu'il a cessé de l'aimer. L'événement inaugure de longs mois d'errance émotionnelle, au cours desquels la jeune femme se sent vivre comme « suspendue », l'esprit parfois comme séparé du corps, en quête d'un impossible « chez soi ». Loin d'être pourtant expérience malheureuse, cette perte des repères quotidiens, ce sentiment de détachement, qui, tantôt, lui permet de s'imaginer « étoile filante », tantôt, lui confère une conscience « liquide », est vécu comme l'occasion de revisiter son passé, les lieux et les liens de son existence.
« Les nuits aux yeux fermés, ouverts, sans le vouloir, je réaménage mes souvenirs. « Une séparation est une étape, une porte, dis-je à ma mère le matin par Skype, une pâte à modeler. J'attends une vie nouvelle comme une robe, une aventure, une occupation. » (p.95)
Au fil de ses changements de résidences, faisant de son téléphone le confident de ses états d'âme, avant de retranscrire ces réflexions dans un texte kaléidoscopique, elle parcourt ainsi, de Minsk à Barcelone, en passant par Pau, Paris ou Saint-Pierre d'Albigny, les lignes de sa vie, songeant que son point d'équilibre se trouve peut-être au croisement virtuel de toutes ces trajectoires, tissées autant par les autres, parents, amis, ou ce voisin, Julien, croisé dans son séjour savoyard, que par elle-même.
Nourri d'étrange étrangeté, et, à l'évidence, de nombreux éléments autobiographiques – il y a du vécu personnel, assurément, quand son personnage évoque la vie en Biélorussie et l'exil des membres de la famille -porté par une écriture d'une singulière poésie et une construction en fragments, dont chaque paragraphe apporte à l'ensemble son éclat particulier, le roman d'Aliona Gloukhova, à l'image de ses deux précédents textes, enchante le lecteur, l'amenant à réfléchir sur la fragilité des identités, une instabilité paradoxalement féconde, avant de nous inviter à retrouver « notre forêt ». Et si nous n'étions, les uns pour les autres, que « des corps lumineux de passage » ? Un livre, oui, comme cet Atlas de la face cachée de la lune, le seul ouvrage que la narratrice – Aliona ? – aura, héritage de son grand-père, emporté dans son exil du Belarus, et qu'elle consulte toujours pour deviner de quoi son futur sera fait, puisque « rien n'est certain, tout est possible, nos points d'atterrissage sont à réinventer », un livre comme une invitation à ce voyage-là, celui de l'imagination ?
Commenter  J’apprécie          30



Ont apprécié cette critique (2)voir plus




{* *}