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Critique de ithaque


‌Alléchant comme une glace fruits rouges par sa couverture, ce livre se laisse déguster sans façon pour qui s'intéresse plus aux derniers 500 millions d'années qu'au dernier SUV sorti.
L'auteur est journaliste, elle nous octroie donc de nombreuses récrés à base d'anecdotes humaines fluidifiant un contenu scientifique des plus documentés.
J'ai beaucoup apprécié ce livre et le ton de l'auteur, il m'aura néanmoins manqué des photos pour appuyer ses mille sujets passionnants et lubrifier à propos nos neurones parfois moins vifs qu'un oeil de T-Rex .


On apprend que la théorie révolutionnaire de la tectonique des plaques n'a qu'une cinquantaine d'années, même si elle a été inspirée par l'intuition de Wegener datant de 1915 : la dérive des continents.
C'est en soi un motif de réflexion de savoir que son idée d'un unique continent initial puis de continents mobiles a été copieusement tournée en dérision de son vivant, considérée comme du plus haut comique.
Il lui manquait notamment le mécanisme par lequel les plaques s'écartent : la découverte en 1967 de l'expansion des fonds marins, qui se produit lorsque la matière chaude du manteau remonte entre 2 plaques du fond des océans les obligeant à s'écarter et refroidissant entre leurs bords.
L'auteur nous rappelle aussi que jusqu'au XVIIIe siècle la Terre était censée n'être âgée que de 6000 ans, les diktats religieux faisant loi. Buffon pousse jusqu'à 75 000 ans mais s'empresse de le notifier comme pure hypothèse, pas fou le gars. On retrouve des notes secrètes où il trouve plus réaliste de tabler sur 3 millions d'années.
C'est la radioactivité qui permettra début XXe de reculer à 1,6 milliard puis à 4,5 milliards en 1950.


Ces continents qui nous paraissent fixés à jamais dans notre cartographie mentale tirée aux 4 épingles ont la bougeotte, eux qui projetèrent allègrement collines et montagnes en s'emplafonnant en accordéon. Hors de notre perception, la terre est en mouvement perpétuel, ondulant dans son fleuve de feu.
Il est probable que ces collisions aient provoqué également une rupture des roches libérant ainsi des nutriments essentiels (carbone, azote,phosphore, oxygène) , eux mêmes à l'origine de l'explosion de vie du cambrien ( 540 millions d'années).
Bon alors quand on parle d "explosion", c'est du point de vue du géologue , 10 ou 30 millions d'années c'est petit-bras pour lui.


Je trouve le profil du géologue extraordinairement séduisant, quelqu'un qui , lorsque tout le monde s'enfuit, se précipite en sens inverse vers le torrent de lave en fusion, quitte à se laisser dévorer par sa passion. On ne compte plus les géologues qui ont péri victimes de leur amour hypnotique, quel panache !
Le chercheur de fossile lui aussi peut se prendre une crise de larmes de joie en découvrant sous ses doigts le bosselé subtil d'une ammonite; c'est le choc d'une petite vie venue de la nuit des temps et qu'il touche de la pulpe apoplectique de son doigt fébrile traversant les millénaires.


Rester de marbre. Quelle expression trompeuse pour un passionné de géologie qui voit dans la pierre la plus ingrate le récit magnifique des origines , les circonvolutions d'une eau asséchée , la silhouette sculpturale d'une fougère ancestrale. Roger Caillois nous dit que ce sont les pierres qui ont appris la beauté aux premiers hommes par leurs couleurs et lignes .
Cette pierre qui redeviendrait magma si elle retourne dans le ventre de la terre, comme c'est stupéfiant.


Nous apprenons beaucoup de choses sur l'apparition de la vie, le foisonnement de ses formes, le lien intime d'interdépendance animaux-plantes, l'instabilité du climat, l'impact crucial des plus petits organismes pour stabiliser un écosystème. Elle aborde l'Anthropocène, le "Capitalocène", l'homme devenu force géologique, l'instant qui plombe.


Comme il est ardu pour chacun de sortir de sa conscience "phénoménologique", ici et maintenant, sa conscience temporelle interne, conscience du corps , de son identité sociale , de l'ego. Y compris pour un scientifique .
C'est le voeu de l'auteur : par ces cheminements à la découverte du temps profond de la terre, elle propose le difficile exercice d'élargissement de la vision à des amplitudes géologiques. Comme il serait beau de donner à tous nos gestes du quotidien "une dimension cosmologique" !


Merci à babelio et aux éditions Quanto.
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