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Critique de Eric75


Poursuivant inlassablement leur série marathon, Goscinny et Uderzo signent leur 12e album qui sort en 1968 après la prépublication habituelle dans le journal Pilote. L'idée de l'album serait venue à Goscinny à la suite de l'organisation des JO de Mexico en 1968. Pour la première fois, le Comité international olympique décide d'instituer des contrôles antidopage lors des Jeux olympiques.

Il en aura fallu du temps à nos irréductibles Gaulois, pour se rendre compte de l'interdiction de la potion magique de Panoramix (qui les rendait si insouciants et sûrs de leur victoire, tout au long des premières pages). Il faut attendre la page 34 pour voir le magistrat grec Garmonparnas leur apprendre l'existence de cette loi olympique, après dénonciation par le centurion romain Tullius Mordicus qui n'était pas mieux informé. Ce qui paraît naturel aujourd'hui ne l'était sans doute pas autant lors de la sortie de l'album en 1968, autres temps, autres moeurs. Par un renversement de situation, cette loi sera utilisée par Astérix pour confondre et disqualifier des Romains.

Le ton général de l'album, tout en conservant un très bon niveau de gags et d'allusions savoureuses, marque une petite différence avec celui des précédents : il s'agit moins ici de dérouler une intrigue irriguée aux meilleurs standards de l'enquête policière (la Serpe d'Or, le Bouclier Arverne, Astérix chez les bretons), du péplum (Astérix gladiateur, Astérix et Cléopâtre) ou de l'aventure exotique (Astérix légionnaire) que de participer à un séjour touristique organisé par un tour-opérateur local pour nos valeureux et franchouillards Gaulois à la découverte de la Grèce antique. On renoue ainsi avec les ressorts scénaristiques du Tour de Gaule, avec un potentiel touristique transposé et élargi à la civilisation grecque. En mai 1968, les Français obtenaient leur 4e semaine de congés payés et de nouveaux horizons s'ouvraient donc à eux.

C'est si vrai que plusieurs références croisées entre les deux albums – le Tour de Gaule et Aux Jeux Olympiques – peuvent être notées. Dans les deux cas, il s'agit d'un défi ou d'une compétition qui se joue entre le village gaulois et l'un des camps retranchés romains (et non pas contre les Grecs, civilisation qui reste neutre). L'intérêt touristique et gastronomique des régions traversées n'est pas négligé : visite guidée de la Gaule des régions d'un côté, de l'Acropole et d'Olympie de l'autre. Approvisionnement ou invitation à se rendre dans les meilleures auberges, avec description détaillée des produits locaux et des menus rencontrés. Parmi les spécialités proposées par Fécarabos, le cousin du guide Mixomatos : « Feuilles de vigne farcies, brochettes, olives, pastèques, vin résiné » (page 26), alors que chez Invinovéritas, autre cousin de Mixomatos, on s'initie mains à l'épaule au tempo à deux temps et quatre temps d'une danse grecque, le Sirtaki (page 27), rendue célèbre par le film Zorba le Grec sorti en 1964.

C'est si vrai que, page 26 toujours, Obélix se souvient non sans nostalgie de sa pause déjeuner lors d'un arrêt effectué sur la Voie Romaine VII dans le Tour de Gaule (page 28) : « Tu te souviens de cette petite auberge sur la Nationale VII ? On nous avait servi du veau délicieux ». On retrouvera plus tard pour la troisième fois cette référence (qui sent le vécu et qui ressemble bien à une private joke) dans l'album Chez Rahazade, sorti en 1987, quand nos héros survolent Olympie en tapis volant.

On remarquera que l'exercice de cuisine comparée pratiqué par les touristes gaulois en déplacement, qui est évoqué dans cette même vignette (« Ça ne vaut pas le sanglier » ; « Ah, le vin d'Aquitaine ! » ; « On nous avait servi du veau délicieux !), rappelle bien des comportements souvent observés chez nos semblables !

Les références culturelles et hellénistiques sont si nombreuses qu'elles m'ont une fois de plus amené à mettre à jour et à préciser la page Wikipédia de l'album (je reproduis ici ma contribution). Dès leur arrivée à Athènes, les Gaulois visitent l'Acropole. Sont alors évoqués (page 25) : Les Propylées, le Temple d'Athéna Nikè, le Parthénon, ainsi qu'une représentation de la statue d'Athéna Parthénos, qui n'existe plus de nos jours, attribuée au sculpteur Phidias. La version dessinée par Uderzo s'inspire de la réplique exposée au Musée royal de l'Ontario, l'une des premières répliques réalisées.

La découverte d'Olympie par les Gaulois est l'occasion de présenter en voix off les principaux édifices de la ville antique (page 28) : le Temple de Zeus et la statue de Zeus par Phidias, l'une des sept merveilles du monde ; l'Atlis, l'enceinte sacrée où siègent les Hellanodices, les 10 juges élus ; le Prytanéon, demeure des magistrats d'Olympie, les Prytanes ; le Bouleutérion, siège du Sénat olympique ; et enfin le stade d'Olympie. Comme je vous l'avais dit, c'est un vrai parcours touristique !

Les jeux de mots sont toujours omniprésents et brillants, la meilleure illustration est constituée de l'ensemble des références associées aux équipes grecques au moment de leur entrée dans le stade olympique (page 38). Accrochez-vous ! : « Cela commence par le défilé des Thermopyles. Ils sont suivis par ceux de Samothrace, sûrs de la victoire ; ceux de Milo sont venus aussi… ; Ceux de Cythère viennent de débarquer ; ceux de Marathon arrivent en courant ; ceux de Macédoine sont très mélangés ; les Spartiates sont pieds nus... ; Rhodes n'a envoyé qu'un seul représentant, un colosse… » Soit huit jeux de mots pour les 8 équipes !

Quelques autres bons mots sont présents tout au long de cet album et fusent dès les premières pages, comme : « On voit bien que tu es un bleu, Deprus » (page 5) ; « Ne crains rien. Je te soutiens Mordicus. » (page 7) ; « Depuis la conquête de la Gaule par Jules ; il a fait assez de commentaires à ce sujet ! » (page 14) ; « Je pense qu'il a dû rater une marche » (page 17, en référence à la marche d'escalier ratée et à la marche olympique composée par Assurancetourix).

Il est à noter qu'aucun des personnages n'apparaît dans cet album sous la forme caricaturée d'une personnalité contemporaine, cependant, René Goscinny et Albert Uderzo se sont représentés dans un bas-relief à l'entrée du village olympique (page 29).

On pourra regretter l'absence de références plus nombreuses à la mythologie grecque si foisonnante (on aperçoit à un moment Oedipe et le Sphinx), avec à la clé quelques occasions manquées, mais l'idée des auteurs était peut-être de ne pas trop s'éparpiller.

Je terminerai ma critique par les relevés et les poncifs devenus habituels depuis le départ de mon marathon de critiques (mon « critiquathon ») des albums d'Astérix. La présence féminine de cet album se traduit surtout par l'absence totale de femmes lors du banquet initial qu'observe Tullius Mordicus à travers la palissade du village (page 14) ainsi que lors du banquet final (page 48), mais aussi dans la foule gauloise réunie (page 16) et même lors des JO (pages 37 et suivantes). Il est d'ailleurs revendiqué qu'un jour « les femmes participeront aux Jeux Olympiques » (page 37), ce ne sera donc pas le cas pour cette fois-ci. Quelques jeunes femmes grecques à la sculpturale silhouette et remarquées surtout par Agecanonix sont à signaler (page 22, page 25 et page 27). Sur la première vignette (page 5), alors que le mari fait sa sieste à l'étage, on distingue deux villageoises en train de manier le balai, un rôle communément montré dans les albums d'Astérix. Les femmes du village gaulois, réunies sous la coupe de Bonemine, apparaissent pour saluer le départ des Gaulois (page 18), la scène est soulignée par cette réflexion de Bonemine d'une étonnante ironie et qui résume tout : « Ça c'est étrange ! J'ai tout à coup l'impression que cette histoire manque d'hommes… Eh bien, on en profitera pour nettoyer et mettre un peu d'ordre, en attendant que ces braillards reviennent ! ».

Pour revenir au banquet final, Agecanonix apparaît pour la première fois à table, c'est aussi la première fois qu'il est nommé dans un album et possède un petit rôle dans l'histoire. Assurancetourix, également bien présent, participe à la ripaille pour la quatrième fois en 12 albums. C'est assez rare pour être noté.

En conclusion, cet album est toujours d'une excellente facture, et je continue donc de mettre la notation maximale, après révision de mon premier jugement, car les éventuelles occasions manquées ou le scénario un peu faible comparé aux précédentes publications – il n'y a pas vraiment de suspens et le déroulement de l'intrigue est assez convenu – sont compensés par une très grande maîtrise du comique de situation et des nombreux clins d'oeil dénonçant nos travers contemporains, toujours aussi bien vus.

Merci à ΓΟΣΚΙΝΝΥ et ΥΔΕΡΖΟ pour ce 12e album qui a bien mérité d'être couronné de succès. PS : Je n'ai pas vu l'adaptation au cinéma sortie en 2008, mais, dit-on, celle-ci, considérée en son temps comme « le film français le plus cher de tous les temps », n'a pas été à la hauteur de la performance olympique espérée.
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