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Critique de Eric75


Eric75
02 décembre 2023
Nombreux sont les stratagèmes utilisés par les Romains pour venir à bout du petit village que nous connaissons bien. Parmi ceux-ci, il en existe un qui s'est avéré particulièrement redoutable, et qui est utilisé dans le 15e album intitulé La Zizanie. L'idée est simple : puisque les Gaulois ne peuvent être vaincus par la force, car ils disposent de la potion magique qui les rend invincibles, il faut imaginer une solution plus moderne et plus subtile : « la guerre psychologique ».

L'album est prépublié et paraît dans Pilote en 1970. Au cours de cette période, les manoeuvres militaires organisées par le Vietnam ont fait émerger dans l'actualité le concept de « guerre psychologique » semant le doute sur la légitimité du conflit aux États-Unis et faisant basculer l'opinion américaine, de plus en plus hostile. La contestation s'organise alors avec les mouvements pacifistes et les manifestations étudiantes. La médiatisation de la contestation aboutira au retrait des américains. de l'aveu d'Uderzo lui-même, Goscinny et lui se sont beaucoup amusés avec le concept de guerre psychologique, dont on leur rebattait les oreilles dans tous les médias.

Cependant, le ton plus grave et les clivages provoqués au sein du village tirent sans doute aussi leur source dans les conflits internes du Journal Pilote après mai 68, qui provoquèrent une rupture entre Goscinny et certains jeunes auteurs dont il avait pourtant lancé la carrière. Goscinny, très remonté, avait établi une liste de noms des participants au fameux épisode de la Brasserie des Copains et était prêt à virer quelques-uns des dissidents. On sait aujourd'hui que des acteurs extérieurs au Journal avaient soufflé sur les braises.

Dans cet album apparaissent Mme Agecanonix et Mme Cétautomatix. On connaissait le caractère égrillard du vieil Agecanonix depuis Aux Jeux Olympiques (où il lorgne sans vergogne la moindre jolie demoiselle grecque qu'il qualifie de « sculpture ») et il semble être accompagné par sa future femme sur la première image dans le Chaudron. Cependant, l'existence de Mme Agecanonix n'est officielle qu'à partir de la Zizanie. Elle partage avec Mme Cétautomatix l'étrange caractéristique d'être toujours sans prénom à ce jour (NB : Si l'on devait ouvrir un concours de choix de prénom, comme cela a eu lieu pour Idéfix, je vote pour Taillefine et Baramine). Toutes les deux prendront leur part dans les ragots et les cancans qui seront colportés sur Astérix, donnant du crédit à la manipulation que l'on qualifierait aujourd'hui de « fake news ».

Car l'attaque du village gaulois va être à la fois subtile et frontale, elle est orchestrée par l'un des plus sinistres et redoutables adversaires romains de l'univers d'Astérix : Tullius Détritus. Suivant son propre plan, l'abominable Détritus, missionné par Jules César, va commencer par emprunter un splendide vase provenant de la collection personnelle du centurion Caius Aérobus et, tout en ignorant superbement Abraracourcix, il va l'offrir à Astérix devant témoins « pour renforcer les liens d'amitié entre Romains et Gaulois » tout en le surnommant « homme le plus important du village ». Il s'ensuit bien entendu une série de quiproquos et de soupçons qui ne font que commencer. En effet, Tullius Détritus va s'ingénier à enchaîner les opérations de désinformation et les mises en scène qui généraliseront les suspicions et mettront à mal la bonne entente au sein du village. Peut-être avez-vous déjà rencontré ce genre de personne, au boulot, dans votre vie privée, et pu constater à quel point leur toxicité s'avère indéniablement efficace.

Le centurion Caius Aérobus prend les traits de Lino Ventura. Il fait partie de la vieille école, il est plus favorable aux combats classiques qu'à la guerre psychologique dont il doute de l'efficacité et qu'il qualifié de « procédés de civils » (page 23). Nous retrouvons Brutus, le fils de Jules César, déjà rencontré dans Astérix Gladiateur, qui ressemble à Tony Curtis (dans le film Spartacus). Brutus est sans arrêt en train de manipuler un couteau affuté au risque de se blesser (page 6), cette scène deviendra un running gag à chacune de ses apparitions.

Que l'on se rassure, Astérix, Panoramix et Obélix qui ont gardé la tête froide parviendront à retourner la situation et à restaurer la paix au village. Mais malgré la réconciliation générale à la fin de l'album, qui est fêtée comme il se doit autour d'un banquet, les personnages féminins, y compris les nouvelles venues au caractère bien trempé citées en début de chronique, ne sont toujours pas conviées. Pas même Bonemine alors que l'on fête l'anniversaire d'Abraracourcix. Pour un peu, on pourrait croire que la Zizanie ne s'est toujours pas éteinte au sein des couples, si l'on ne nous avait pas déjà habitués à cette situation depuis maintenant quinze albums.
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