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Critique de Medieviste


Lectrice de Gouguenheim depuis longtemps, j'avais fait l'impasse sur ce titre qui ne m'a impressionnée qu'à moitié. J'ai une critique négative et une critique positive à formuler. La critique négative porte sur une méconnaissance assez dramatique des traditions de l'imaginaire impérial tel qu'il a été repris d'Auguste - lequel exploitait des traditions magiques d'une très grande antiquité - et transmis aux empereurs du SERG à travers les institutions carolingiennes. Il serait beaucoup trop long de parler de ça. Mais le caractère "organique" - ou "méthectique" comme dit Legeard (pour reprendre un élément tiré de mes échanges récents avec Aléatoire et Moravia*) - de l'empire tel qu'il s'est nécessairement, vitalement opposé à la réforme grégorienne et à la théocratie papale (dont l'Etat royal de France est un sous-produit), tout cela est laissé de côté, passé sous silence, alors que c'est essentiel.

Le mot "empire", imperium, est tiré d'un très vieux vocabulaire dont la racine indo-européenne (*perh2‑) signifie "pourvoir, équiper". Il est essentiellement relié aux notions de protection et d'enfantement. L'Empereur injecte dans son peuple, et fait circuler en lui un fluide vital, le numen, l'énergie qui l'anime et le porte à la grandeur, au dépassement, la force de vie. Voir, à ce sujet, Dumézil, ses prédécesseurs et ses continuateurs (notamment concernant la lance de Mars, le silex de Jupiter, etc.) Par la grâce du Kaiser (César), qui est un ordonnateur et un dispensateur de vie, non un conquérant, les éléments de l'Empire jouent les rôles d'organes différenciés dans un organisme dont le bon fonctionnement permet le développement intense, et in fine la sublimation. Car les principes de l'Empire sont spirituels et non matériels. La confrontation du Saint-Empire romain germanique et des Papes traduit la lutte eschatologique de deux visions cosmiques absolument, radicalement incompatibles. Là-dessus, Gouguenheim, zéro.

Bien, passons maintenant au positif. Gouguenheim démonte (déconstruit, comme on dit aujourd'hui) les légendes qui se sont tissées autour de la personne de Frédéric II, et ça, c'est de la bonne ouvrage. On peut néanmoins regretter, encore une fois, que SG - par méconnaissance du fonds légendaire proprement germanique ? - croie ou feigne de croire que l'importance de Frédéric II fut capitale dans les traditions populaires et littéraires. Il n'en est rien. Les empereurs légendaires adoptés par la tradition littéraire "allemande" du MA à l'époque romantique (surtout, d'ailleurs par le pré-romantisme et le romantisme d'Iéna), furent essentiellement Dietrich von Bern, Karl der Grosse, et - pour le SERG - Friedrich I. Barbarossa. Soient, en français: Théodéric de Vérone, Charlemagne et Barberousse.

=Note=
*"Méthectique", c'est-à-dire participatif au sens où un élément participe organiquement d'un ensemble en exploitant à fond ses qualités spécifiques, et par opposition à "mimétique", c'est-à-dire imitatif dans le sens où il s'agit d'imiter le roi qui lui-même imite Jésus, etc. (cas français à partir des Capétiens du XIIIe siècle). Dans un empire, personne ne demande d'imiter l'empereur. L'Empire a une vision communautaire, personnaliste, "organique". L'Etat (-royal, puis -nation) au contraire s'appuie sur l'homogénéité, la concurrence, le "contrat social" (source rousseauiste et libertaire) et "l'insociable sociabilité des sociétés" (source kantienne et libérale). Sans doute, c'est ici la vision d'EL, mais elle est fortement étayée, et j'y adhère pleinement.
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