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Critique de dourvach


Le premier long texte publié de ces deux "manuscrits de guerre" posthumes de Julien Gracq s'intitule "Souvenirs de guerre" (pages 31 à 158). Ils sont bien ceux du lieutenant Louis Poirier et sont une merveille de férocité et d'acuité... A la fois pur témoignage et Littérature "vraie".

Il s'agit du journal de sa "Drôle de guerre", mis au propre par un écrivain débutant ("Au château d'Argol" a été publié en 1938, "Un beau ténébreux" en 1945) sur un cahier "Le Conquérant" – nom de marque dont l'ironie cruelle et tendre nous nargue ! – sans doute au retour de son "oflag" (camp d'officiers prisonniers) ; en effet, Louis Poirier dut se rendre et rejoindre la longue file des prisonniers le 2 juin 1940.

Ce texte vibrant et sobre, est paradoxalement un "bain de vie" permanent. Ici, strictement aucun "effet" d'écrivain. Plus rien ici des bouillonnements permanents de son "chaudron de sorcier" du pur romanesque, des circonvolutions stylistiques tourbillonnantes drapant son "Au château d'Argol" de qualificatifs et d'adverbes sans nombre, d'images mentales surimprimées au long de phrases de dimension parfois impressionnante.

Nous sommes ici quasi dans les "mots-matières" chers aux "atmosphères" de notre Wallon universel, Georges Simenon. Les cieux blancs aveuglants que l'on connaît "Chez les Flamands". Les petits jours à haleine sèche. le froid qui vous mord les orteils. L'odeur lourde des eaux mortes. Humus pourrissant que l'on foule. L'heure de la sensation brute. Encerclements nocturnes par des voix germaniques... Avec pour seuls – pesants, taciturnes et omniprésents – compagnons d'infortune, ces personnages frustes qui hanteront son futur "Un balcon en forêt" (1958) : ces Bretons soiffards, qui se ravitaillent à la diable, dorment et ronflent comme des brutes.

Le lieutenant G. (pardon, le "lieutenant Poirier", et non encore "Grange"...), pendant ce temps, ne fait évidemment pas corps avec "la troupe" : il observe, hume, calcule, emplissant malheureusement peu à peu son esprit – qu'il voudrait toujours libre et dégagé – des plus sombres présages... " Il y a du Labiche là-dedans, c'est sûr ! ".

Et cette foutue impression de tourner en rond... du 10 mai à Winnezeele jusqu'à Hoymille (Houtland) le 2 juin. Ces lisières de marécages, ces hauts de polders... L'impression de ne décidément pouvoir rien pouvoir surplomber en ce trop "Plat Pays" tendrement célébré par Jacques Brel...

Errance d'un régiment, depuis la Flandre intérieure jusqu'en Frise occidentale hollandaise, pour revenir aux faubourgs de Dunkerque. Odeurs méphitiques de marais puis de cave. Se terrer. Mais c'est fini : "La porte de la cave s'ouvre. Je crie : "Ne tirez pas. Nous nous rendons." le 4 juin, Dunkerque tombera.

Une oeuvre puissamment sensorielle... Solide introduction littéraire aux mondes enchantés, minéraux et sylvestres de "Le rivage des Syrtes" (1951) et de "Un balcon en forêt" (1958). Annonçant aussi le romantisme flamboyant à l'oeuvre aussi bien dans "Un balcon en forêt" et sa longue nouvelle "le Roi Cophetua" (dans le recueil "la Presqu'île"), récit d'une "drôle d'attente" durant la guerre de 14-18...

Ajoutons que l'avant-propos de son exécutrice testamentaire Berhild Boie (pages 7 à 31) – qui oeuvra par ailleurs aux deux Intégrales de la collection "La Pléiade" – est passionnant.

Le "récit" qui forme la seconde partie de l'ouvrage (pages 161 à 246) – sorte de"mise en roman et tentative de distanciation à la troisième personne du singulier des fascinants "Souvenirs de guerre" précédents n'apportent rien de plus à la puissance du premier écrit.

Gracq est un poète : réellement et on le voit, en toutes circonstances...
Lien : http://fleuvlitterature.cana..
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