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Critique de Ana_Kronik


Au départ, David Graeber se demande qu'est-ce que la valeur, et surtout, comment certaines valeurs (et pas d'autres) s'imposent à une société.

Il va s'appuyer sur l'étude de différentes sociétés dites "primitives" mais sur lesquelles nous possédons beaucoup d'informations, grâce aux récits des anthropologues et des ethnologues qui les ont étudiées, et à leur colonisation relativement récente. En effet, le seul point commun de ces sociétés est d'avoir été colonisées par des européens: les anglais pour ce qui concerne les "Indiens" d'Amérique du Nord, les Maoris de Nouvelle-Zélande, ou les aborigènes d'Australie, les français pour Madagascar.

L'étude de ces sociétés est assez fascinante, et surtout, elle montre une grande diversité. Les Iroquois privilégiaient le courage; composé de plusieurs nations, leur système politique - qui a inspiré la constitution des États-Unis - était fédéral, mais les lois étaient d'abord proposées à l'échelon local, par les femmes. Dans les îles Trobriand, en Mélanésie, la plus grande valeur était attribuée à la culture des ignames, c'était à celui qui aurait le plus beau jardin... alors que la récolte était donnée à la famille de son épouse. Pour les Maoris, la réalisation de soi passait avant tout par l'appropriation, alors que chez les Kwakiutl, qui occupaient la côte ouest du Canada, elle privilégiait le transfert de propriété: il fallait pouvoir étaler ses richesses dans de grandes cérémonies de don, destinées à montrer sa générosité et à renforcer son prestige.

Toutes ces sociétés, donc, ont été absorbées, si ce n'est massacrées, par notre "civilisation" occidentale, laquelle privilégie une valeur suprême: l'argent. C'est finalement assez logique: l'argent permet de tout acheter, le pouvoir, le prestige, les femmes, le travail des autres... Il reste assez difficile d'expliquer toutefois pourquoi certaines pratiques de don sans contrepartie évidente subsistent, même dans notre société matérialiste et individualiste: par exemple, le bénévolat.

Le livre est foisonnant, fouillé (les longues descriptions des usages dans les sociétés "primitives" pourront paraître fastidieuses à certains). Il a aussi l'intérêt de nous ouvrir les portes de différentes approches et théories anthropologiques, de Levi-Strauss à Wallace et d'autres moins connus, avec l'appui de philosophes. La lecture est parfois ardue, mais elle mérite amplement cet effort de par les réflexions qu'elle suscite: comme toujours avec Graeber, le lien avec la politique n'est jamais loin. L'auteur se garde bien de toute conclusion sur les valeurs, il se contente de constater qu'il y a un grand champ du possible, et que la société dans son ensemble se devrait de participer à l'établissement de ses propres valeurs. Comme il le dit lui-même, en fin de compte, définir les valeurs d'une société devrait être le but principal de la politique. Et non le privilège de quelques dirigeants (politiques et économiques) qui monopolisent le débat et imposent leurs propres discours, comme par exemple "l'identité" ou encore la cynique "valeur-travail".
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