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Critique de Seijoliver


Merci aux maisons d'édition, en l'occurrence ici, Rivages, qui acceptent les sollicitations de Babelio et participent aux opérations Masse Critique.

Avant de commencer le livre, je vous suggère de lire l'instructive postface de l'un des traducteurs, Martin Rueff, car elle éclaire et recadre le travail de David Graeber. Celui-ci fait de la philosophie à partir de la discipline qu'il a choisi, l'anthropologie, « parce qu'elle ouvre des fenêtres sur d'autres formes possibles d'existence humaine sociale, parce qu'elle peut servir à garder à l'esprit que la plupart des choses dont nous considérons qu'elles n'ont jamais évolué jusqu'à aujourd'hui, ont été, en d'autres temps et en d'autres lieux, configurées de manière complètement différentes, et, par conséquent, que les possibilités humaines sont presque toujours plus grandes que celles que nous imaginons d'ordinaire» (p. 7, et repris p. 302). L'anthropologie, écrit M. Rueff, « est la discipline qui, plus que tout autre, s'applique à étudier la manière dont les sociétés et les individus inventent les institutions du sens ». Graeber trouve dans l'anthropologie politique, le moyen de s'extraire, d'aller voir dans des cultures et des sociétés hors des sphères européennes et anglo-saxonnes ; pratiquer « le grand pas de côté » (p. 303), l'éloignement, et le traducteur d'inventer cette belle image, « entreprendre de voyager pour ne pas se mêler de philosopher » (p. 303), soit une philosophie, qui, n'étant pas technique ou pure scolastique, invente des possibles, « un idéal utopiste » dit Graeber (p. 9).

A travers ces quatre essais, Graeber réinterroge des concepts marxistes (mode de production, fétichisme de la marchandise), et il utilise à cette fin les travaux de nombreux collègues et chercheurs, certains non traduits en français, Campell, Culianu, des auteurs classiques, Hegel, Spinoza, ou d'autres, moins inconnus pour nous : Alain Caillé, Marcel Mauss, John Holloway, Giorgio Agamben.
Si l'ouvrage m'a semblé par moments ardu – les phrases sont parfois longues, et l'anthropologie euh !! est une nouveauté pour moi [c'est l'intérêt des opérations Masse Critique !]- sa lecture procure, allez disons le, le plaisir de l'émulation intellectuelle, surtout si les possibles pour inventer autre chose que le monde actuel est ce qui vous motive.

Dans ce premier essai, dont le sous titre donne l'ambition, « éléments pour une théorie générale de la hiérarchie », David Graeber s'intéresse aux comportements et aux coutumes qui encadrent les relations sociales et établissent des hiérarchies, s'interrogeant sur les qualités et la justesse de ces hiérarchies. [Sont très intéressantes ces pages où utilisant deux catégories d'ethnographie, les relations de plaisanterie et d'évitement, il évoque les corps, leur coupure ou leur inscription dans le monde, la standardisation des relations sociales et l'intériorisation des principes de bonne conduite - cela au détriment des cultures populaires, fêtes et carnavals par exemple]. Hiérarchies, qui écrit-il ne sont pas éternelles, et ne sont pas des structures inévitables.

Dans le second, il s'interroge sur l'idée de consommation, et au-delà sur le désir comme essence de l'être humain. Critiquer le consumérisme ne l'intéresse pas, il se demande simplement pourquoi toute conduite relèverait de la consommation et de pratiques de consommateurs. Ceux-ci ne seraient que des créations artificielles manipulées ? Certains ne créeraient-ils pas leurs identités à partir de significations qu'ils se donneraient à partir de produits dont ils choisissent de s'entourer ? (p. 111) [on retrouve ici l'importance pour David Graeber de la créativité, et qu'on retrouvera ailleurs dans le livre]. Si l'activité humaine est, quand elle n'est pas travail, de consommer des choses, qu'est-ce qu'alors que le désir humain et sa satisfaction ? Il faut pourtant sortir du schéma production/consommation, car la consommation comme idéologie, nous fait oublier que la vie sociale est avant tout construction mutuelle d'êtres humains.

Dans le troisième, il reprend le concept de « mode de production », concept pour lui peu élaboré et tombé comme en désuétude. Il entend l'utiliser autrement que dans une classique forme économique (créer de la plus-value matérielle), mais essentiellement comme une manière de façonner les êtres humains, un moyen d'accomplissement. En dehors d'un système voué à l'accumulation de richesses et de croissance du PIB, les modes de production produisent à part égale, en plus des objets matériels, des personnes et des relations sociales via des processus d'action. Si l'on réduit ces processus d'action en objets distincts, on permet de les réduire à une propriété, et d'affirmer qu'on possède des objets, mais aussi des hommes. Graeber insiste sur la proximité entre esclavagisme et capitalisme, le second étant une transformation du premier.

Enfin, les fétiches sont le sujet du quatrième essai. Ici aussi l'auteur veut aller plus loin que Marx : partant des mêmes points, la créativité et l'imagination comme essence de ce qui signifie être un humain, Graeber s'intéresse non pas tant à ce qu'elles peuvent produire, mais à leur rôle dans le « changement social radical ». Pour ce qui s'invente, nouvelles institutions, nouvelles relation sociales, Graeber s'inspirant des travaux de William Pietz (publié aux éditions de l'éclat) utilise l'anthropologie pour analyser la manière dont ces nouveautés apparaissent, et notamment le fétichisme. A savoir, comment un objet matériel se transforme pour devenir un objet de désir ou de valeur. Mais ces objets peuvent aussi servir à autre chose, et cela dans un système en constante transformation : tout acte de créativité sociale, n'est pas figé, et donc, non mesurable. Ces objets « apparemment fixes font en réalité partie d'un processus continu de construction ». Attention à ce qu'ils ne se figent ! et ne deviennent des dieux !
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