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Critique de ODP31


Tout le monde n'a pas eu la chance d'avoir des parents…dissidents !
C'est le cas d'Iegor Gran qui déterre les racines de son arbre généalogique en évitant la lourdeur qui accompagne souvent les romans du terroir familial, occasions redondantes de tuer le père, de révéler des errements érectiles ou de patauger dans le bon vieux temps.
Iegor Gran préfère décrire avec beaucoup d'humour la longue traque du KGB pour démasquer son père Abram Tertz, pseudonyme d'Andreï Siniavski, auteur clandestin de nouvelles peu respectueuses du régime soviétique et publiées en Occident. Les « services compétents » mettront tout en oeuvre pour débusquer cet "ennemi du peuple".
Le récit se déroule dans la Russie post stalinienne, dans les années 50-60, et permet de déborder les livres d'histoire pour rentrer dans le quotidien ubuesque de l'époque. Ici, on pourrait dire que la réalité dépasse la fiction si une fiction n'avait pas aveuglé la réalité pendant tant d'années.
Nourri d'archives familiales et après un important un travail de recherches, l'auteur garantit la véracité de tous les épisodes décrits dans le roman.
De la perquisition de son berceau, au « filet peu garni » offert à Youri Gagarine pour récompense de sa transhumance dans l'espace, de la projection clandestine de films de Fellini aux dénonciations de délateurs zélés, Iegor Gran nous immerge dans une société russe surréaliste.
Dans le roman, les agents du KGB ne sont pas présentés comme des tueurs sadiques mais comme des idéalistes zélés, soucieux de satisfaire leur hiérarchie pour obtenir quelques faveurs, et par ailleurs bons pères de famille. Ils sont présentés d'humeurs peu badines, des "Poutines" en gabardine qui chaussent des patins pour rentrer dans des appartements communautaires où la sexualité est considérée comme une maladie honteuse. Le régime, au menu unique, condamnait autant les instincts primaires que les admirateurs de Pasternak.
L'intérêt du roman réside beaucoup dans ses personnages. Mentions particulières pour cet écrivain et sa femme, fatalistes sur l'imminence de l'arrestation du mari, mais qui refusèrent de se complaire dans la tragédie et qui décidèrent de faire un enfant pour braver le destin.
L'auteur décrit très bien les tiraillements entre les envies naissantes de consommation qui agitent le pays des soviets, malgré les voyages organisés dans les goulags, et un endoctrinement qui impose de ne voir que ce qu'il est autorisé de croire.
La description des méthodes disproportionnées du KGB pour assurer un contrôle total de la population est passionnante. Après les purges staliniennes, la période est au dégel et le polit bureau patauge dans la raspoutitsa pour trouver la bonne mesure. La dépouille de Staline est retirée du mausolée de la Place Rouge mais rien ne doit pouvoir fissurer le bouclier idéologique contre le Corona Virus capitaliste. Quitte à se soigner à la vodka.
J'ai particulièrement apprécié le ton ironique de l'auteur. Iegor Gran est parfois traversé de vilaines pensées. Il en avait d'ailleurs fait un recueil délicieux. Elles sont aussi à l'origine de farces grinçantes et savoureuses dont je ne peux que conseiller la lecture : « L'écologie en bas de chez moi » ou « la revanche de Kévin ». Il n'a pas besoin de passer un test ADN pour s'assurer qu'il est bien le fils de son père. La causticité est ici héréditaire.
Il ne me reste plus qu'à relire le docteur Jivago. Jiva de ce pas de l'oie.
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