Et mon coeur se remit à battre

Chaque jour apportait son lot d’offrandes et de célébrations. Il avait fini par ritualiser son temps lui aussi et par épouser le tempo de l’île des Dieux. Le matin, il observait les Balinaises déposer leurs offrandes dans une gracieuse chorégraphie de gestes précis et délicats, puis il allait se baigner, admirant au loin les rizières et le mont Agung, dont la géométrie parfaite lui rappelait les pyramides. Il pensait aussitôt à Yasmine et à leur intimité si spontanée. Leur relation avait été d’une telle évidence, comme s’ils se connaissaient depuis la nuit des temps…

En quelques jours, il avait pris plusieurs décisions importantes. D’abord quitter Marie, avec laquelle, malgré dix ans de vie commune, il se trouvait dans l’incapacité de construire quoi que ce soit, puis celle – totalement inattendue – de réaliser enfin son tour du monde ! Hors de question de rester là à attendre sagement la mort ! Il allait voyager et enfin accomplir ses rêves ! Lui qui d’habitude avait besoin de temps pour peser le pour et le contre avant de passer à l’action, il ne lui avait fallu que quelques heures pour décider. Avec le recul, il s’étonnait même d’avoir si facilement sauté le pas. Pour tout dire, il ne s’était pas reconnu !

Certains gourous semblent sincères, d’autres complètement fous ! Ils ont des assistants dévoués corps et âme, qui sont chargés de tuer le moindre doute chez les participants et de protéger l’image immaculée du maître. Ils ne sont plus dans la réalité : ils viennent ici pour planer tous ensemble, et s’il y en a un qui pense différemment, il est exclu du groupe. Je t’observe depuis quelque temps et tu me sembles l’un de ceux-là.

Notre sagesse, nous la puisons en observant le paysage et en écoutant le vent ; nous respectons la nature et sa force, on apprend du froid et on s’adapte à la rudesse du climat en honorant la terre et le cycle de la vie. On n’a pas besoin des paroles sages d’un gourou venu d’ailleurs…

Perplexe, il se demandait comment Pierre arrivait à avoir une telle influence… Certes, il avait un talent certain pour raconter des histoires. Et si ses enseignements n’étaient rien d’autre que de belles histoires ? Tony fut interrompu dans ses pensées par l’arrivée de Ganji, le chauffeur mongol aux côtés duquel il avait fait la plupart des trajets en 4 x 4 et avec lequel il avait fini par sympathiser.

Quels que soient vos problèmes, physiques ou psychologiques, que vous ayez des douleurs articulaires ou cardiaques, un cancer, une maladie immunitaire ou une difformité qui vous empêchent d’avancer, c’est l’opportunité de guérir définitivement ! Mais également de transmuter vos bagages karmiques, ceux de votre famille, du peuple humain et même de tous les êtres de notre galaxie !
Comment ai-je pu être aveugle à ce point ? se demanda Tony en observant l’effet euphorique de ces paroles sur les disciples.

« Tu devras discerner le vrai du faux : te méfier des faux amis, des fausses croyances et des faux prophètes, ils pourraient te faire mourir ! » Il n’en revenait pas : c’est comme s’il avait su avant Tony lui-même ce qu’il vivrait dans les mois qui allaient suivre. Comment cela était-il possible?

Si c’est l’argent qui te pose problème, tu peux payer sur plusieurs années ou donner de ton temps pour réduire un peu les coûts ! Et puis, on peut toujours trouver des solutions… 

Désormais, il devrait incarner ses qualités et faire confiance à sa sagesse et à sa force intérieures… Comme Yasmine le lui avait suggéré, d’ailleurs.

Aux Marquises comme à Bali, régnait une incomparable douceur de vivre, mais leurs vibrations différaient. Tony s’y trouvait bien, même s’il ressentait parfois le poids d’un lourd passé. Son cœur, lui, s’adaptait plus difficilement et le faisait régulièrement souffrir. Meherio lui avait donné rendez-vous sur la place à huit heures ce samedi matin pour l’emmener au nord de l’île, où il pourrait voir une partie de l’héritage culturel gravé dans la pierre.