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Critique de Wazlib


C'est un charmant livre que ce nouvel ouvrage du Bélial. On a pu en entendre du bien dans la célébrissime émission science-fictionnesque qu'est la Salle 101, Raoul n'ayant pas hésité à en dire du bien. Et il faut l'avouer, « Nous allons tous très bien, merci », si ce n'est pas un chef-d'oeuvre du genre, parvient aisément à faire passer un bon moment en abordant bien des choses originales et inspirantes, comme par exemple le stress post-traumatique des personnages de romans horrifiques (la suite jamais racontée, en quelque sorte), ou encore le Mal et son empire, la marginalité et bien sûr, en filigrane de tout cela, la solitude immuable de l'être humain étant sorti de force du confort de son quotidien.
Je ne vais pas revenir sur l'histoire, bien décrite en quatrième de couverture. On se demande bien vers où tout cela va nous mener, et c'est un vrai plaisir de e faire ballotter par Daryl Gregory et son écriture somme toute assez simple. On ne trouvera pas dans ce bouquin un style légendaire mais plutôt une aisance de situation remarquable. Si l'on prend comme exemple les récits des horreurs subies par les différents protagonistes, on réalise l'effort de l'auteur qui parvient à nous scotché au fauteuil, décrivant l'innommable aussi facilement qu'une comptine d'enfant, et ce sans pour autant nous écoeurer. Pas la peine de chercher le gore à outrance ou encore l'horreur la plus expressive, la richesse du bouquin ne tient pas à ça.
Petit bouquin, d'ailleurs, que l'on range du côté des novellas. Et cette taille, couplée à une découpe étrange du livre, donne un faux rythme qui se présente à la fois comme une qualité et un défaut. Je n'ai pas trouvé la narration particulièrement immersive, ce qui se révèle mineur face à la faible épaisseur du bouquin. Effectivement, c'est un peu tiré par les cheveux de parler ici d'une page-turner puisque sa lecture « rapide » est plus une conséquence des 180 pages de récit que d'une réelle adhésion indéfectible à l'écriture de l'auteur ou son intrigue.
Mais attention, le tout est très bon. Les personnages, s'ils sont dans un premier temps méchamment grossiers et caricaturaux, prennent le temps de se creuser au fil des pages, et Gregory parvient à en saisir l'essence admirablement. On sera fasciné par l'histoire de chacun, et très vite on se sentira comme membre du groupe, connaissant les habitudes et les tensions des uns et des autres. Hauts en couleur, il sera difficile de ne pas s'impliquer dans leurs tourments et leur quête de réponse.
Tout défile assez vite, et il est un peu frustrant de ne pas creuser plus certaines parties de l'intrigue, que l'on mourrait d'envie de découvrir. Tout ce mythe autour du Scrimshander, psychopathe, mélange d'un humain et d'un parasite extra-dimensionnel, se plaisant à charcuter ses victimes pour graver la face de leurs os, est par exemple un peu frustrant, le tout se révélant passionnant. En fait, avec du recul, je me dis que j'aurais adoré lire des nouvelles complètes sur le passé monstrueux de ces personnages, m'y plonger un peu plus. Ce n'est pas pour autant un reproche que je fais, puisque le fait de n'avoir qu'un point de vue a posteriori de ces horreurs laisse un flou et un mystère favorable à l'ensemble du livre, prenant clairement le parti d'un présent post-traumatique, brisé par les fantômes du passé s'incarnant ici en d'immondes cicatrices.
Il est regrettable, également, de basculer dans une histoire plus banale d'action fantastique vers la fin du livre. le propos était si fin qu'il est légèrement dommage de le gâcher au profit d'une « fin de l'histoire », qui sans être ratée, est un peu téléphonée. Les rebondissements à la fin du livre auront leur impact, sans pour autant transcender le lecteur qui perd un peu d'intérêt en quittant cette atmosphère si intelligente que Daryl Gregory avait parvenu à installer.
Dans les thèmes abordés, c'est quasiment un sans-faute. Daryl Gregory pratique autant le dit et le non-dit, fournissant quelques pistes de réflexion (genre le monomythe de Campbell) et nous laissant l'agréable effort de se faire notre propre point de vue sur cette histoire de lutte contre soi-même et la différence, une illustration quasiment magistrale de e que peuvent ressentir ces gens tirés miraculeusement de situations à l'horreur indicible. Une horreur qui se fondera bien vite dans cette figure noire qu'est le Mal, omniscient et liant chaque être pour une mise en abime vertigineuse. Un Mal qui pousse chacun à l'interrogation car incompréhensible et source d'une lutte éternelle peu salutaire.
En conclusion, le petit ouvrage de Daryl Gregory est d'une grande qualité, s'affinant au fil des pages pour un résultat étrange, terrifiant et drôle parfois, inspirant et glaçant. L'univers de l'auteur, perpétuellement orienté vers l'hommage, parvient sans mal à se démarquer du reste de la littérature actuelle pour, à l'instar d'un Gaiman, développer des thèmes qui lui sont chers, à sa manière ce sui est synonyme ici d'étrangeté, et de manière surprenante, d'une grande sincérité. Alors bien sûr, ce n'est peut-être pas le roman fantastique de l'année, mais c'est clairement une bonne surprise prenant à contrepied à peu près tout le monde dans ce domaine. Oeuvre réussie et courte, je ne saurais trop vous conseiller « Nous allons tous très bien, merci », qui mérite d'être lue pour le simple plaisir que l'on en retire.
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