Un travail documentaire
Sur la dernière page de - La Vie de notre seigneur Jésus-Christ-, oeuvre illustrée de 365 planches, James Tissot a glissé un autoportrait, intitulé - Portrait du pèlerin-. mais Tissot est-il vraiment un pélerin, lui qui se rend par trois fois (en 1886, 1889, et 1896) au Moyen-Orient ? C'est davantage un peintre, un orientaliste fasciné par un pays exotique. Il documente inlassablement par des dizaines de dessins, de gouaches et d'aquarelles les paysages et les visages qu'il rencontre en Palestine. Ecumant le désert, traversant les villages, flânant dans les rues de Jérusalem, Tissot fouille ce monde étrange, qui semble s'être figé dans les temps bibliques. Véritable voyage dans le temps, cet itinéraire en terre sainte est aussi pour James Tissot une course contre le temps. Il lui faut fixer les traits de cette bible vivante avant de la voir transformée et corrompue par les signes de la modernité. Aussi travaille-t-il avec acharnement, en tant qu'ethnographe, à capter et comprendre les différents types physiques qu'il croise sur le chemin. Dans ce conservatoire à ciel ouvert, Tissot, le portraitiste et l'amoureux des étoffes, s'attache avant tout aux visages et aux vêtements. Ces physionomies d'arméniens, avec leur barbe ,leur tunique, ne sont-elles pas celles-là mêmes qu'arboraient les prophètes il y a deux mille ans ? (p. 162)
Peintre des robes et des manchons, des bals et des salons, Tissot est également fasciné par la Tamise. Est-ce la poésie des quais et des départs- souvenir de Nantes ? Tissot ne se lasse pas de peindre les docks, les promenades en canots, les ponts de bateaux, les terrasses sur l'eau...ses personnages regardent le fleuve, comme s'il était le miroir d'une méditation mélancolique. (p. 62)
Peintre qui a grandi avec les débuts de la photographie, Tissot ne croit qu'à la précision et au détail. Malgré tout, il ne confond pas l'exactitude avec la vérité. Il sait bien, lui qui a été invité par les impressionnistes en 1874 à exposer avec eux, que la vérité peut aussi naître de l'imprécision. (p. 12)
A propos
Jacques-joseph, dit James Tissot a vécu une vie brillante, à la Belle Epoque, dans les deux capitales du XIXe siècle: Paris et Londres. Mal connu, est-il un peintre français ou anglais ? James, le prénom qu'il adopte en 1859 et ses années londoniennes (1871-1882) ont fait de lui un artiste voyageur, à cheval entre deux mondes. Cette difficulté à localiser le peintre affecte également son oeuvre. Entre le peintre de la mondanité et l'illustrateur de la vie de Jésus-Christ et de l'Ancien Testament, quelle continuité ? Entre le dandy détaché et l'homme d'affaires, "un marchand de génie", selon le peintre anglais John Singer Sargent, quel fil tirer ? (p.6)
Les tissus
Dès l'origine, le déguisement paraît être un des motifs, voire l'élément central des toiles de Tissot. Le costume, historique, ethnographique ou mondain, joue le premier rôle. Ce goût pour le "déguisement" le conduit à faire l'acquisition de kimonos, à l'origine de nombreuses oeuvres japonisantes. A la fin de sa carrière, les illustrations qu'il réalise pour l'histoire sainte lui inspirent une enquête archéologique sur le vêtement biblique.
La mode contemporaine lui assure la réputation de peintre de la "vie moderne". Son oeil est attentif aux volumes, aux couleurs, amoureux des plis, des manchons, des capuches, des chapeaux, des boléros, des poufs et des frous-frous. Tissot capte, comme le fait Zola plus tard dans- Au Bonheur des dames-, l'apparition de ces désirs nouveaux pour le textile.
Et il les met en scène sur ses toiles à travers des femmes élégantes qui s'inspirent alors des revues et des gravures de mode.
Mais chez Tissot cette passion documentée et documentaire pour la toilette est sublimée par une vision de la femme. Sans doute est-elle le jouet de ses désirs pour l'étoffe, mais au coeur de cette frivolité, elle affiche une mine absente, souvent mélancolique, signe peut-être de la conscience malheureuse qu'elle a de la vanité de ce petit théâtre des apparences. (p. 144)
Tissot voyage par trois fois en terre sainte pour y documenter son travail et le relier au savoir scientifique et archéologique de l’époque. Il en tire 365 gravures, à l’esthétique à la fois orientaliste et sulpicienne, pour illustrer –La Vie de notre seigneur Jésus-Christ-, aux éditions Mame. Le succès public (et financier) est considérable. Les éditions en langues étrangères se multiplient. Tissot s’engage alors dans la création d’illustrations pour un nouveau projet portant sur l’Ancien Testament- travail inachevé à sa mort en 1902… (p. 154)