AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de DevN


Pour parler d'un tel livre, je m'interdis tout sens de la mesure.

Vie et destin est plus qu'un récit de guerre au réalisme saisissant ou une critique du totalitarisme, auquel on le réduit souvent (comme l'oeuvre de tous les auteurs étiquetés "dissidents"). Ce qui le rend remarquable avant tout, c'est sa réflexion philosophique sur la forme et la nature du bien et du mal. On serait même presque tenté d'y voir une application de la métaphysique hégélienne, à savoir faire parler l'histoire pour en tirer la vérité ultime de l'âme humaine. Faute d'une étude approfondie sur ce point, je le laisse en suspens.

L'idée maîtresse de l'ouvrage est aussi simple à comprendre que profonde : toute tentative d'élaborer une théorie du bien, au moyen d'une doctrine religieuse, philosophique ou nationaliste, ne peut qu'échouer et causer beaucoup de mal. La bonté n'existe qu'au niveau individuel, elle est sans pensée, spontanée. Donc la bonne action ne se préoccupe pas de sa finalité, contrairement à tout système doctrinal :

"Plus [la bonté] est insensée, plus elle est absurde et impuissante et plus elle est grande. (...) L'amour aveugle et muet est le sens de l'homme."

Plutôt que de me perdre en 30 lignes de citation, je vous renvoie au chapitre 15 de la deuxième partie (les écrits d'Ikonnikov), qui constitue la clé de voûte de l'ouvrage.

Grossman ne pouvait être un pacifiste : il s'est retrouvé face à un ennemi qui a voulu détruire sa patrie et exterminer sa race. Mais il met en garde contre un préjugé qui corrompt le sens de toute guerre : celui de croire qu'elle est menée au nom d'un Dieu, d'une nation, d'une classe sociale. Ces derniers ne sont pas la fin recherchée de la lutte, mais un moyen collectif d'obtenir ou préserver une existence individuelle libre.

Après s'être frotté à la pensée de Grossman, on ne considère plus les rares soubresauts des consciences nationales (pourtant mourantes en Europe) de la même façon. 25 ans après la "fin de l'histoire" et le triomphe des démocraties libérales en Europe, le profond et subtil humanisme de cet ouvrage garde quelque chose de subversif.
Commenter  J’apprécie          50



Ont apprécié cette critique (5)voir plus




{* *}