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Critique de YvesParis


Au lendemain de la chute du mur, Jean-Marie Guéhenno, conseiller-maître à la Cour des comptes, ancien directeur du Centre d'analyse et de prévision au Quai d'Orsay et représentant permanent de la France auprès de l'UEO, dressait l'acte de décès de la démocratie. Dans "La fin de la démocratie" (Fayard, 1993), il nous mettait en garde contre « le triomphalisme vaniteux qui accompagna la chute du communisme » (p. 7).

Son nouvel ouvrage, publié six ans après le précédent, reprend la réflexion là où elle s'était interrompue. Jean-Marie Guéhenno emprunte à Benjamin Constant sa distinction de deux libertés et, partant, de deux démocraties. D'un côté, la liberté des anciens pose la démocratie comme une expérience partagée du pouvoir, un moyen de constituer, ensemble, un bien commun. de l'autre, la liberté des modernes ravale la démocratie au statut de simple technique permettant de limiter le pouvoir. Ces deux libertés, souvent opposées, sont en fait inséparables : « c'est l'existence de communautés politiques qui a historiquement rendu possible l'exercice démocratique du pouvoir, mais c'est ensuite l'exercice démocratique du pouvoir qui à son tour a conforté les communautés politiques de l'époque moderne » (p. 11).

Or, selon le diagnostic sévère de Jean-Marie Guéhenno, la « victoire de la démocratie » chantée aux lendemains de la chute du communisme a souvent dissocié ces deux visages de la liberté. En particulier, la « démocratie-technique » a pris le pas sur la « démocratie-valeur ». Cette évolution trouve son origine dans le mouvement de mondialisation qui mine les communautés territoriales et nous laisse seuls, dans un « tête-à-tête enivrant », face à la globalité. Jean-Marie Guéhenno analyse longuement cette « désintermédiation politique ». Son jugement est sans concession : « la mondialisation fait de nous des orphelins, car nous n'héritons plus, par le hasard de la naissance, d'une communauté, il nous faut désormais la construire » (p. 16). En d'autres termes, selon une formule souvent répétée dans son livre, « un marché global ne crée pas une communauté globale ».

Comment dès lors définir, dans ce contexte, les conditions nouvelles de la démocratie ? Deux modèles archétypaux s'offrent à nous. D'un côté, le modèle américain propose une communauté de choix, toujours réinventée. Là, le contrat social est associatif ; il repose sur un acte de volonté. Dans le modèle européen, au contraire, la communauté repose sur un héritage, sur une mémoire partagée.

Le modèle américain est particulièrement adapté aux défis de la mondialisation. Mais, il apparaît insuffisant pour préserver des solidarités, fussent-elles élargies. Il a besoin d'être étayé par une mémoire commune, plus concrète que l'adhésion à une illusoire communauté mondiale. Entre le « sentiment océanique » (l'expression est empruntée à Romain Rolland) c'est-à-dire le malaise des communautés de choix confrontées à l'universel, et le repli identitaire des communautés de mémoire, le principal défi de la construction européenne est précisément de rechercher un équilibre. « En conjuguant des patriotismes nationaux fondés sur la mémoire historique avec un patriotisme institutionnel européen fondé sur le choix volontaire de lier dans la construction politique de l'Union européenne des destins jusqu'alors séparés, les Européens ont la possibilité d'inventer une nouvelle forme politique » (p. 173).

Accéder à l'universalité en s'enracinant, non dans le cadre aujourd'hui concurrencé de la nation, mais dans celui plus prometteur d'un de ces « paliers institutionnels » dont l'Union européenne constitue le meilleur exemple, tel sera finalement, selon Jean-Marie Guéhenno, le ciment des communautés de l'avenir.
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