La lecture du bref prologue m'a demandé un an et trois tentatives car cette mère abrutie par « le Sacre du Printemps » de Stravinsky, écouté indéfiniment en boucle, est aussi affligeante qu'insupportable.
Mais, en cette semaine de congés, j'ai sauté par dessus le prologue et n'ai plus lâché ce roman, fort instructif, qui décrit trente cinq ans (1982 / 2017) de la vie de Christian SITEL.
Enfant « précoce », victime d'une agression dans une cour de récréation qui l'a laissé handicapé et coupé de liens sociaux, Christian a un ami, Martin BOUDOUX, et un mentor, son parrain, Stanislas KURSIEVC, frère de sa maman Sonia. Notre surdoué grandit entre son père plus attentif à l'entretien de sa Renault qu'à l'éducation de son fils, et sa mère qui l'aiguillonne dans ses études.
Premier de classe, Christian gagne un prix au Concours Général de Mathématiques, entre à l'
Ecole Normale Supérieure puis part aux USA rejoindre son parrain créateur, à Cold Spring, d'une start up prometteuse.
Trans K, entreprise dédiée aux sciences NBIC (Nanotechnologie, Biotechnique, Informatique, sciences Cognitives), ambitionne de repousser la vieillesse et, à terme, de tuer la mort. Christian y développe des produits innovants, sources de marchés aussi insoupçonnés que lucratifs.
L'inventeur ne se pose guère de questions autres que scientifiques, jusqu'au jour où son parrain lui demande de l'aide pour optimiser les slides d'un Business Plan qui doit séduire les investisseurs et lever des millions de dollars pour conquérir une position de leader. Chaque Bullet Point devient un boulet qui l'interpelle et l'incite à s'interroger sur les finalités de l'entreprise. La rencontre avec les fonds Private Equity lui dévoile les buts des financiers … beaucoup plus motivés par les profits que par les bienfaits des produits.
A l'issue de cette réunion, Christian croise à Manhattan un SDF, qui survit tant bien que mal au coeur d'un hiver éprouvant. le contraste entre « le monde du haut » et « le monde du bas » bouleverse Christian qui finit par prendre du recul vis à vis de son parrain et s'éloigne de Trans K.
De retour en France, il rejoint ses parents à Estène, charmant bourg provençal … ces retrouvailles scellent leurs destins … Christian entre en « dissidence ».
Les trois parties de ce roman m'ont passionné. La première, avec son duo Martin-Christian, évoque l'éducation de nos enfants, la deuxième certains épisodes professionnels, la dernière formule les questions que chacun se pose en contexte COVID 19 face aux « avancées » des sciences.
Vouloir « augmenter l'homme » n'est pas une idée neuve … les nazis ont déjà ouvert cette voie avec la fondation des Lebensborn et les recherches du Docteur Mengele sur les déportés.
Mais cet ouvrage présente un second niveau de lecture plus philosophique (parfaitement abordable) lorsque Christian découvre l'oeuvre de Teilhard de Chardin et se plonge dans « Le phénomène humain » (paru en 1955). Des réflexions qui recoupent celles d'
Andreï Sakharov « l'arme la plus puissante au monde n'est pas la bombe mais la vérité. »
Enfin, la conclusion permet à François-Régis de Guenyveau de nous offrir un dénouement à la Dickens, un conte de Noël, en incitant le lecteur à devenir
un dissident et découvrir les chemins d'un progrès respectueux de la dignité humaine.
Ce premier roman révèle un écrivain doté d'une plume élégante et d'une pensée étayée sur des références littéraires et philosophiques solides.
Alors, ne vous laissez pas dissuader par l'inutile prologue ou le dégradant strip-tease du travesti new-yorkais, et devenez à votre tour
un Dissident.