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Critique de Brulang


J'apprécie la perspective originale de Christophe Guilluy sur les enjeux d'inégalités sociales.

D'un côté, cet auteur est radical, et de l'autre, il est étrangement plus nuancé, au fond, que bien d'autres. À mon avis, il fait partie de cette nouvelle classe d'intellectuels déserteurs/chassés des universités à cause de leur lucidité, de leur refus de se conformer à la loi du marché, de se plier aux nouvelles normes du discours qui régissent les conditions de la « vérité ». Il y a donc du courage dans cet essai, publié en 2018.

S'exprimer au nom de la classe moyenne, en marge et contre l'idéologie dominante, bien sûr celle qui prévaut dans les médias et dans le milieu académique, ce n'est pas la chose la plus aisée à entreprendre.

Dans No society, l'appareil conceptuel développé par Guilluy et son école de géographie sociale est déployé pour traiter de la question plus particulière de la montée du populisme dans les pays Occidentaux ces dernières années. Selon lui, c'est la relégation de la classe moyenne par les classes dirigeantes, à un niveau territorial, économique, culturel, dans les périphéries des grandes métropoles, des centres où se créent les emplois, l'abandon de l'État-Providence, des avantages sociaux, bref du bien commun en général, qui explique la montée du populisme.

Le discours des médias mainstream, arrimé à l'idéologie de la nouvelle intelligentsia de gauche de ces élites, ne rend pas compte de cette réalité. En effet, rares furent les grands quotidiens de la planète qui adressèrent avec sérieux l'élection de Trump aux États-Unis en 2016. La plupart se sont contentés de le démoniser en le traitant comme au pire, une grave erreur, au mieux, un accident. Hillary Clinton, en qualifiant ces électeurs de « déplorables », achevait de trahir tout le mépris que les classes d'en haut portent envers des gens qui ont des intérêts pourtant ordinaires et qui sont ceux de la population majoritaire. Après la désindustrialisation de 1970, qui anéantit les catégories de la classe populaire, paysanne et ouvrière, Margaret Thatcher annonçait, une décennie plus tard, la disparition de la classe moyenne, dans un discours prononcé en 1987 et dans lequel elle dit la phrase à partir de laquelle s'inspire ce livre : « There is no society ».

Il n'y a donc plus de représentants au niveau politique de cette classe qui constitue pourtant le socle de la société Occidentale. Loin d'être tous des redneck sous-éduqués, les électeurs de Donald Trump sont des professionnels, des avocats ou des instituteurs, qui ne se sentent plus du tout en sécurité avec des dirigeants issus d'une classe d'hyper-riches, minoritaire, déconnectée de la réalité et qui se désengage peu à peu totalement du reste de l'humanité en sapant les bases de la société. le système économique en place est en crise. Tous connaissent ses limites, ne serait-ce qu'à cause des contraintes écologiques. Et pourtant, rien ne bouge. À la télé, on continue d'entendre parler du monde en termes de croissance des marchés boursiers. Pendant ce temps, les électeurs populaires dont la voix ne se fait plus entendre croissent en nombre, car c'est toute la classe moyenne qui s'ajoute aux oubliés, avec les paysans et les ouvriers.

À une verve incendiaire et des propos étoffés se mêlent toutefois quelques lourdeurs, comme des répétitions de phrases, d'idées, d'expressions. Ça frôle parfois les allures d'une longue rengaine d'un intello frustré...

N'empêche, je classerais quand même cette lecture comme nécessaire, parce que Guilluy élucide, il a une analyse pertinente sur un problème actuel et qu'il n'y a malheureusement plus aucun danger de retrouver ce genre de travail dans les médias traditionnels, où il est désormais interdit de parler de protectionnisme, de régulation des flux migratoires et de nationalisme sans se faire traiter de white trash arriérés et racistes.
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