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Critique de Laccrocheplume


Yannick Haenel appartient à cette catégorie d'écrivains qui se regardent écrire depuis si longtemps que l'on se demande bien quand il va se passer quelque chose.

Mais ça crée une attente tout de même parce qu'il a l'air si acharné dans cette noble tâche ; et de surcroit, il sait former de belles phrases et il a beaucoup lu. Les données d'ordre géographique, dialectique, les prix littéraires sont là pour en faire un écrivain installé. Malheureusement il y a une absence totale de foi. Il ne croit de toute évidence pas en la puissance du roman. Il s'essaye au roman comme un essayiste en mal de sujet, c'est à dire en cherchant désespérément un sujet qui le galvanise, puis il condense son récit maladroitement en de petites joutes intellectuelles à coloration philosophique motivées par son amour pour sa plume qui enfin se réveille, par petits soubresauts, puis retombe. Il a beau la regarder avec insistance, cette plume, rien ne se passe. C'est malheureux mais c'est comme ça.

Il y a bien un amour "fou" avec la troublante mais peu convaincante Lysia. Il y a bien un personnage (Georges Bataille) qui devrait insuffler un peu de désir dans ce texte mais ça tombe à plat, aucun feu ne brûle dans cette plume. 'De toute façon, il a décidé qu'il a vu « l'épaisseur du temps » (à nous de la traverser) « Cette chance des géométries inoccupées » (à nous de les occuper). 'De toute façon, « en tout temps », il attend « ce trouble qui déclenche les romans » (à nous de saisir ce trouble).

« Je voudrais que son visage se lève en vous. » Amen.

Je lui suggère (en toute sympathie parce que tout travail acharné mérite de l'empathie) de regarder au loin, vers l'horizon qui est dégagé : des prix littéraires, du papier à disposition malgré la pénurie actuelle, un label. Des appuis. Toute la presse en parle. Il a tout de même très mal assimilé cette notion répétée partout : de même que le sujet d'un tableau c'est la peinture, le sujet d'un roman c'est l'écriture. C'est le problème quand un écrivain est trop exposé médiatiquement avant d'avoir fait ses preuves, mais il n'est pas le seul à pâtir de ce mal du siècle. S'il pouvait enfin comprendre que ce n'est pas en se regardant avec une plume égocentrique écrire des « Il n'y a rien de plus beau qu'un roman qui s'écrit ; le temps qu'on y consacre ressemble à celui de l'amour : aussi intense, aussi radieux, aussi blessant » qu'il peut écrire des livres qui nous galvanisent, ce serait bien pour la suite (ce parallèle entre l'écriture et l'amour qu'il ne cesse d'invoquer me paraît extrêmement préoccupant, mais cela ne nous concerne plus)… Ou alors qu'il écrive simplement des essais des comptes-rendus documentaires et oublie une fois pour toute le roman car le papier est rare, et notre temps après tout (regardons-nous également le nombril, il n'y a pas de raison) l'est tout autant !

Enfin je finirai par cet extrait qui en dit long. « Je n'ai jamais vraiment cru à la différence entre réalité et fiction; elle ne mène qu'à l'assèchement du langage. » Comment est-on passé d'une foi catholique ferme et vigilante à nos Dieux autoproclamés du roman qui nous abreuvent d'intentions et d'injonctions, de désirs invoqués mais non communiqués malgré un effort certain ? Mystère ! Seule la voix du grand menteur-mentor littéraire de notre siècle a la réponse ! L'érudition (malheureusement ou heureusement) ne peut masquer l'absence de foi, le manque d'imagination (malgré cette injonction à imaginer) ne peut donner du relief à une entreprise romanesque dépourvue de feu.

Le roman est mort. Vive l'écrivain Yannick Haenel qui se regarde écrire tout en nous dictant nos impressions d'une voix dogmatique. Cette voix a fini par me lasser malgré les nombreux adoucisseurs semés ça et là sur 420 pages (ces quelques moments de lucidité, ces remarques sur le désir qui appelle le roman et s'éteint, ces quelques petites étincelles de modestie peu convaincantes) !

3/5 pour cette plume laborieuse tout de même !

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