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Critique de Arimbo


L'histoire de ce livre n'est pas banale.
Sebastian Haffner, jeune juriste né en 1907 dans une vieille famille bourgeoise protestante installée à Berlin, et dont le père fut lui-même juriste, s'exile en Angleterre en 1938, pour échapper à l'atmosphère délétère de son pays. Là-bas, vivant dans des conditions précaires, il y commence la rédaction de ce livre, mais le laisse de côté. Par la suite, il en écrira d'autres et de retour en Allemagne en 1954, il deviendra un journaliste et historien reconnu, avec des livres notamment consacrés à l'Allemagne prussienne et hitlérienne, et ne reviendra jamais sur son manuscrit.
Ce n'est qu'après sa mort en 1999 que ses enfants découvrent ce texte et le publient en 2000.
On y découvre un récit saisissant qui relate, de façon autobiographique, ce que l'enfant, l'adolescent puis le jeune adulte, a vécu et ressenti depuis le début de la guerre 1914-1918 jusqu'à la fin de la terrible année 1933, où la narration s'arrête brusquement.
C'est un récit à hauteur d'homme, d'une incroyable acuité d'analyse. Haffner insiste beaucoup, pour justifier son témoignage, sur l'importance qu'il y a, pour comprendre le cours de l'Histoire, d'avoir accès au récit de "citoyens ordinaires inconnus".
Même si ce récit est incomplet, car on pense que l'auteur voulait raconter son histoire personnelle jusqu'en 1938, c'est suffisant pour comprendre le terrible engrenage qui conduit à l'installation du régime totalitaire nazi.
De la guerre de 1914-1918 perdue par l'Allemagne et vécue comme une humiliation collective, des soubresauts de l'après-guerre, des crises internes du pays, en 1923, 1929, séparées par une relative quiétude et prospérité sous la direction de Stresemann, on assiste à l'arrivée au pouvoir d'Hitler.
Arrivée dont on comprend qu'elle n'était pas inéluctable, son parti étant minoritaire encore en 1932, mais qu'elle est due à la lâcheté des dirigeants politiques de l'Allemagne, et à la passivité de la population. L'auteur n'est d'ailleurs pas tendre avec la mentalité du peuple allemand, trop ancré dans la vie individuelle et le respect de l'ordre.
La narration des événements de 1933 se mêle à la vie personnelle de l'auteur, ses amis qui quittent l'Allemagne, ses amies dont on ne saura ce qu'elles sont devenues, ces Charlie juive, Teddy, autrichienne vivant à Paris,..le groupe de ses camarades juristes stagiaires qui éclatera entre ceux qui choisiront le nazisme et les autres.
La relation de ce qui se passe, vu du simple citoyen qu'est Haffner, m'a stupéfait. Cette ambiance orchestrée de liesse populaire journalière, qui va durer plusieurs mois, et derrière laquelle se déroule sans bruit une répression impitoyable, les exécutions sommaires, les emprisonnements dans les camps de concentration, la première vague d'humiliation des juifs, c'est étrange et terrible. Car ainsi, toute opposition disparaît dans l'indifférence d'une population anesthésiée.
Et dès lors, l'état totalitaire s'installe, qui règne par la terreur, qui contrôle tout de votre vie, vous oblige à la pensée unique, réduisant à néant la vie individuelle. La scène où Haffner nous décrit son vieux père, éminent juriste, soumis au dilemme de devoir répondre à un questionnaire détaillé concernant son passé, ses opinions, pour finalement le renseigner dans la douleur, est bouleversante.
Le récit se termine sur la narration du "stage" obligatoire que passera le jeune juriste avec d'autres à candidats à un concours pour devenir "référendaire", qui montre ce que l'Etat nazi a mis en place pour embrigader les jeunes, même les plus cultivés comme le sont ces jeunes gens. C'est terrifiant, et saisi avec une formidable acuité. En effet, avec ces jeunes cultivés, pas de brutalité, pas de brimades. Mais un discours exaltant la rigueur, l'amour du "Vaterland", revenant sur la guerre de 1914-1918, et stimulant ce mal terrible dénommé par l'auteur "l'encamaradement". Haffner y décrit combien l'esprit de groupe qui implique la démission de l'individu au profit du groupe, est facile à obtenir, et même dans des esprits évolués. L'embrigadement des jeunes, pilier d'un régime ou d'un mouvement totalitaire, c'est une constante hélas, qui nourrit encore notre présent.
Dans son récit, Haffner dit espérer que les puissances étrangères, France, Angleterre réagissent. On sait ce qu'il en advint, la lâche capitulation des accords de Munich de 1938, qui firent dire à Churchill: "ils ont voulu la paix dans l'honneur, ils auront la guerre et le déshonneur".

Des récits comme celui-ci nous font ressentir que le pire est toujours possible dans nos démocraties, mais aussi que rien n'est inéluctable. Sans entrer dans cette discussion de savoir si L Histoire se répète ou pas, la leçon, s'il y en a une, que j'en tire, c'est qu'un gouvernement, un peuple ne doit jamais céder, "sous peine de danger mortel" aurait dit De Gaulle, sur ses valeurs fondatrices, par exemple en ce moment sur la liberté d'expression. Et que la lâcheté se paie très cher.
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