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Critique de boudicca


Commençons d'abord par l'ouvrage le plus essentiel pour les lecteurs qui ne connaîtraient pas du tout le contexte et qui souhaiteraient en découvrir les bases : « La Commune de Paris ». Journaliste et écrivain politique allemand du XXe siècle réputé pour son opposition au régime nazi, Sebastian Haffner est l'auteur de plusieurs ouvrages sur le IIIe Reich et Hitler aussi bien que sur Churchill ou encore Bismarck. On lui doit aussi un petit ouvrage très synthétique consacré à la Commune parisienne de 1871, co-édité en 2019 par les éditions de Fallois et Europolis qui mettent à disposition des lecteurs le texte à la fois en version originale (allemand) et en version traduite (français). Long d'une cinquantaine de pages seulement, l'ouvrage n'en reste pas moins assez complet et permet de bien cerner les grands enjeux de la période et ses principaux acteurs, ainsi que la manière dont cet événement a pu être récupéré et analysé depuis aussi bien par la gauche que la droite, chacun avec une interprétation évidemment très différente. Sebastian Haffner organise son propos en trois grandes parties qu'on retrouvera globalement dans la plupart des autres ouvrages sur le sujet tant cette séparation semble aller de soi : l'instauration de la Commune ; ses réalisations et ses particularités ; sa fin et la sanglante répression qui a suivi. L'auteur revient donc dans un premier temps sur la guerre franco-prussienne de 1870 et la chute de Napoléon III (fait prisonnier lors de la bataille de Sedan le 2 septembre). Deux jours après, la République est proclamée et un gouvernement de défense nationale instauré. Seulement les avis divergent quant aux décisions à prendre concernant la poursuite de la guerre : si Léon Gambetta (ministre de l'intérieur) est plutôt partisan de continuer le combat coûte que coûte en mobilisant la province pour former une nouvelle armée, certains, comme le général Trochu (commandant en chef), se montrent plus frileux tandis que d'autres (le ministre des affaires étrangères Jules Favre en tête) militent ouvertement en faveur de la capitulation. A Paris, les habitants se rangent majoritairement du côté des bellicistes : il faut dire que la capitale est assiégée depuis des semaines, et que les privations et les bombardements réguliers ont contribué à renforcer la haine du Prussien chez les citadins.

Sebastian Haffner revient ensuite en détail sur les différentes tractations avec Bismarck, mais aussi sur la résistance tenace des Parisiens qui multiplient les insurrections et les proclamations faisant part de leur refus de baisser les armes. L'armistice sera finalement signée en dépit de leurs réticences le 29 janvier, et des élections sont organisées dans la foulée pour élire des représentants qui siégeront à la toute nouvelle assemblée nationale. Après huit jours seulement de campagne électorale, les Français élisent une majorité de députés monarchistes, moins par réelle conviction que parce que ces derniers sont alors de farouches partisans de la paix quand les républicains militent pour la poursuite de la guerre. Sans surprise, l'assemblée vote la fin des combats, renonce à l'Alsace et la Moselle et accepte de verser des dédommagements importants. Adolphe Thiers est pour sa part élu pour exercer le pouvoir exécutif tandis que Paris et ses turbulents citoyens se trouvent délaissés, l'assemblée siégeant à Bordeaux et le nouveau gouvernement multipliant les vexations à l'encontre des Parisiens : les Prussiens sont autorisés à rentrer dans la ville pour défiler sur les Champs Élysées, les loyers impayés pendant le siège deviennent dus du jour au lendemain, la solde de la garde nationale est supprimée, les journaux de gauche interdits, les meneurs du soulèvement du 31 octobre condamnés à mort par contumace, et surtout le gouvernement annonce sa décision de s'établir à Versailles. C'est finalement la nuit du 18 mars 1871 que tout va basculer, et ce en l'espace de quelques heures seulement. Thiers prend en effet la décision d'envoyer discrètement l'armée dans la capitale afin de désarmer la garde nationale et d'occuper les quartiers ouvriers. L'objectif principal est de récupérer les 700 canons de la garde nationale, et notamment les 171 mis en sécurité dans les hauteurs de Montmartre. Tout se déroule sans accroc, sauf à Montmartre, justement, où une foule composée, entre autre, de l'institutrice Louise Michel et du maire de l'arrondissement George Clemenceau, commence à se former. Celle-ci refusant de se disperser, le général Claude Lecomte ordonne à ses hommes de tirer, ce que les soldats se refusent à faire. Ces derniers fraternisent alors avec les habitants et procèdent même à l'arrestation de leurs officiers, une scène qui se répétera tout au long de la nuit dans de multiples quartiers de la capitale. Apprenant l'échec de son opération, Thiers ordonne au gouvernement et aux administrations de fuir Paris pour Versailles. le comité central de la garde nationale prend le pouvoir… et annonce aussitôt qu'il y renonce : des élections sont organisées afin que la ville puisse se doter de ses propres représentants, à même de négocier avec Thiers et son gouvernement.

Après ce récit des événements clair et concis, l'auteur se focalise sur l'expérience politique novatrice que constitue la Commune, en revenant notamment sur un certain nombre d'idées reçues. Première erreur : non, les insurgés de mars 1871 n'ont absolument pas l'ambition de diriger la France et de remplacer le gouvernement élu en février. L'auteur insiste avec justesse sur le fait que ce qui anime très clairement les Parisiens révoltés c'est avant tout le désir de se doter de leurs propres représentants, ce que traduit d'ailleurs très bien le terme de « Commune », qui sert tout simplement à désigner un conseil municipal élu (la capitale était jusqu'à présent sous la responsabilité d'un préfet ou d'un maire directement nommé par le gouvernement, période révolutionnaire mise à part). L'autre stéréotype sur lequel revient ici Sebastian Haffner, c'est sur la violence qui aurait émaillé l'instauration de la Commune. Or on constate non seulement que les actes violents sont extrêmement minoritaires, mais en plus que les élections organisées par le comité central sont parfaitement libres puisque les 92 membres élus par les habitants reflètent parfaitement la diversité des opinions politiques de l'époque, conservateurs inclus (ils sont alors vingt-et-un à avoir été élus par les quartiers les plus aisés de la capitale). Autre idée reçue, qui vient cette fois contrecarrer la légende dorée que la gauche a abondement contribué à construire autour de la Commune : bien que démocratique, antimilitariste et anticléricale, celle-ci n'est absolument pas socialiste ou communiste. A aucun moment elle ne touchera au trésor de la Banque de France, ni même n'empêchera la Bourse de Paris de boursicoter comme à son habitude. de même, on ne constate ni expropriation massive, ni nationalisation (à l'exception du décret qui prévoit que les entreprises dont les propriétaires auront fui la capitale seront réouvertes sous la forme de coopératives gérées par le personnel). Certes, les mesures prises sont radicales pour l'époque (séparation de l'église et de l'état, laïcisation et démocratisation de l'enseignement, législation du travail et des syndicats…), et d'importantes lois de justice sociale ont été prises, mais l'auteur fait remarquer que toutes ces orientations seront reprises par les radicaux-démocrates trente ans plus tard sous la IIIe République. Reste que certains symboles demeurent, comme l'annulation des loyers en retard (« considérant que le travail, l'industrie et le commerce ont supportés toutes les charges de la guerre, il est juste que la propriété fasse au pays sa part de sacrifice »), mais aussi la restitution gratuite des biens de premières nécessités cédés au mont-de-piété par les plus démunis pendant le siège, sans oublier l'intrusion fracassante des femmes dans la vie politique ou encore la reconnaissance du divorce et de droits pour les enfants illégitimes.

Ce qu'il est essentiel de comprendre selon l'auteur pour bien appréhender cet événement, c'est que la Commune n'a pas vocation a mener une révolution politique et sociale comme cela avait pu être le cas en 1789 ou en 1848 : le but premier est ici de mettre en place une auto-gestion locale (de gauche) qu'on n'imagine a aucun moment exercer le pouvoir seul, mais plutôt en collaboration avec l'assemblée nationale bordelaise. Thiers n'est cependant pas de cet avis, et la contre-offensive versaillaise va commencer dès le 2 avril 1871. Attaque à laquelle la garde nationale répondra aussitôt de façon désorganisée lors d'une sortie catastrophique. La Commune réagit à cette humiliante défaite en tentant de reprendre en main la garde nationale, mais les pertes sont lourdes (on estime qu'entre mars et mai, les forces parisiennes passent de 100 000 à 30 000 hommes). L'armée versaillaise, elle, reçoit enfin les renforts attendus après la signature de la paix définitive le 1er mai 1871 qui permet le retour des soldats faits prisonniers à Sedan et Metz. A la mi-mai, les 30 000 gardes nationaux restant sont confrontés à une armée de plus de 100 000 hommes. le 21 mai, les Versaillais pénètrent dans la ville grâce à une brèche non gardée (faute d'effectif) dans la muraille ouest. S'en suit une semaine de combats et de massacres. Les quartiers ouest sont pris rapidement, mais le reste de la ville se barricade et lutte, maison par maison. C'est finalement le massacre qui suit l'arrêt des combats qui va participer à faire rentrer la Commune dans l'histoire. Partout, des habitants sont arrêtés et envoyés à l'échafaud sans aucune preuve ni procès, après une simple sélection des officiers. Une nouvelle sélection attend même les prisonniers ayant échappé au premier « tri » puisque le général marquis Gallifet (auquel Didier Lallement, actuel préfet de Paris, s'est lui-même comparé l'an dernier) passe en revue ceux qui sortent porte de la Muette et ordonne arbitrairement de tuer tel ou tel prisonnier (111 personnes seront ainsi fusillées pour avoir eu le simple tort d'avoir les cheveux blancs et donc d'être « plus coupables que les autres » car ayant vraisemblablement également participé à la révolution de 1848). Les historiens estiment aujourd'hui que la Semaine Sanglante et ses suites auraient causé la mort de 20 à 30 000 personnes. Après les carnages viendra le temps des procès qui engendreront des déportations massives dans les bagnes de Cayenne et de Nouvelle Calédonie. Cet acharnement des vainqueurs sur la Commune aura eu, selon l'auteur, des conséquences importantes tout au long de la IIIe République, et donna un modèle et un mythe à la révolution sociale. La lutte de la Commune devient donc à la fois un exemple pour les révolutionnaires du monde entier, mais aussi une mise en garde : voilà le sort terrible qui vous attend en cas d'échec.

En l'espace d'une cinquantaine de pages seulement, Sebastian Haffner revient sur l'épisode particulièrement célèbre de la Commune de Paris de 1871, dont il décrit l'avènement, les achèvements, ainsi que la destruction. le récit est évidemment synthétique, et passe donc sous silence un certain nombre d'événements, mais en dit suffisamment pour permettre au lecteur de se repérer historiquement et politiquement. L'auteur nous livre aussi sa propre analyse, insistant bien sur l'absence de volonté de la part de la Commune de faire la révolution et sur son désir de mettre en place une forme d'auto-gestion locale animée par des idées résolument de gauche, sans pour autant pousser jusqu'au socialisme. L'auteur insiste aussi sur la violente répression dont le mouvement aura été victime, et sur les conséquences à long terme de ces massacres. Un ouvrage court mais dense, qui constitue une très bonne introduction à la période.
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