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Critique de Tempsdelecture


Il est question d'une histoire d'amour certes mais l'intérêt et le charme de ce livre vont bien au-delà de ce simple élément narratif, qui, après tout, ne me semble être qu'un simple prétexte à une transposition du conflit qui déchire le moyen-orient sur deux personnes lambda, amoureuses. Cette narration prend un tour beaucoup plus personnel puisque deux enfants, qui ont comme culture à la fois les cultures palestinienne et anglaise et comme religion l'islam et le judaïsme, sont issus de cette relation. Ces enfants, qui plus encore que l'union de Salim et Judit, supportent bien malgré eux les conséquences de l'union de leur parents, les stigmates d'un antagonisme croissant.

Point intéressant à évoquer, l'auteure alterne les points de vue, sans absolument aucun parti pris pour une culture ou l'autre, l'un sur la vie de Selim, l'autre sur la vie de Judit, jusqu'à leur rencontre, afin que le lecteur s'imprègne de la même façon de l'état d'esprit de chacun, celui du jeune Selim, désemparé parte la perte de la maison aux orangers, située à Jaffa, partie sud de l'actuelle Tel-Aviv, pétri par la rancoeur, la honte et l'incompréhension, et celui de Judit, déconcertée par un sentiment religieux qui n'est pas forcément le sien, accablée par l'histoire de son peuple, sans doute, trop lourde à porter et anéantie par l'antisémitisme ambiant, dont la fin de la guerre n'est pas parvenu à venir à bout. le fait, justement, de juxtaposer ces deux points de vue enlève tout manichéisme formel au récit en mettant à jour la multiplicité des facettes de cette réalité complexe, de ces deux pays embourbés dans une relation que de lointaines instances mondiales ont cru bon de faire ingérence, et qui est devenue, par voie de conséquence, totalement ingérable.

C‘est une écriture sensible, qui explore avec justesse les parcours et les psychologies de ces adultes que sont devenus ces enfants, sans jamais porter le moindre jugement, laissant au lecteur la possibilité de comprendre par lui-même les enjeux personnels, qui au-delà d'être simplement politiques, touchent à ce que les hommes ont de plus intime, leur identité, façonnée, entre autre, par les lieux où ils ont grandi, l'histoire dans laquelle s'inscrit la mémoire familiale.

C‘est donc un couple, mixte, qui va devoir trouver sa propre voix/voie, sa vérité, charges dont les enfants, fils et fille, d'une juive et d'un musulman, se verront incomber au même titre que les parents. Chacun aura à coeur de définir son identité, outre ce poids de ces deux héritages d'amour, de haine, de rancoeur et de rancune, plutôt lourds à assumer et à porter. D'ailleurs la lettre liminaire du roman ou Marc s'adresse à Sophie, démontre de cette difficulté existentielle qu'ils doivent surmonter. Tiennent-ils plus du Menschen juif ou du Fellah arabe?

Au-delà de leur religion et de leur culture, clairement Judit et Salim possèdent deux personnalités qui leur permettent de surmonter les obstacles qui pourrait freiner d'autres plus faibles qu'eux, Judit, est une jeune fille plutôt moderne et indépendante qui a du mal à comprendre les traditions dont ses parents se réclament. Mais ce sont avant tout deux adultes déracinés, ballottés entre Palestine, Angleterre. En mettant au coeur de son sujet deux familles particulières, les Gold et les Al-Ishmaeli, l'auteure a tout de même réussit à prendre de la hauteur pour montrer que tous ces drames qui fondent l'opposition de ces deux peuples, les juifs, les arabes, tous ces sentiments bouillonnants et extrêmes dans lesquels ils sont englués, se rencontrent finalement chez les uns et comme chez les autres, que la perte des terres des uns en Palestine fait écho aux pillages des propriétés des autres en Russie. Ils n'ont certainement pas vécus les mêmes traumatismes, mais ont l'un comme l'autre l'expérience de l'incompréhension, du rejet, de l'animosité inexplicable, du fiel, de la malveillance et de l'hostilité, parfois du fanatisme, de ceux qui profitent de leur position de supériorité, toute honte bue, pour davantage les humilier et les asservir. C'est toute la difficulté de cette union qui réussit à se construire sur les cendres des couples de leur propre famille qui les ont précédés, un véritable lien affectif, et une volonté de s'accommoder à la différence de l'autre, celui qui ne rentre pas forcément dans les cadres des repères familiaux et culturels. Car ces différences n'affectent pas seulement les relations conjugales, mais également les relations familiales, où chacun manque de se retrouver dans l'autre,

Belle plume, histoire poignante, Claire Hajaj a su déceler de la lumière dans un univers chaotique pris dans un engrenage de violence sans fin, voué à la perte, aux renoncements, aux sacrifices où la paix ne semble être qu'un mirage, un concept fabriqué de toutes pièces pour continuer à vivre et donner un peu d'espoir aux enfants. C'est un roman d'autant plus passionnant et troublant que l'auteure dévoile, dans ses remerciements, que son récit a été inspiré de sa propre histoire. C'est un beau premier roman, et Claire Hajaj, une auteure à suivre.


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